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Biodiversité

L’interdiction du commerce d’ivoire soumise aux citoyens européens

Pour lutter contre le braconnage des éléphants, la Commission européenne a annoncé jeudi une batterie de mesures visant à fermer le marché légal de l’or blanc au sein de l’UE. Ce projet est soumis à consultation publique jusqu’à fin février.
Une saisie d'ivoire à Nice, en mai 2018. (Photo Eric Gaillard. Reuters)
publié le 29 janvier 2021 à 17h49

Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, l'a encore démontré mardi au forum économique mondial de Davos (virtuel) : elle veut faire de l'environnement, et en particulier de la biodiversité, l'une des priorités de la politique européenne. Cela passe par le fait de réclamer haut et fort un pacte international pour préserver les écosystèmes – un «accord de Paris», a dit l'ex-ministre allemande de la Défense lors de son allocution –, mais aussi un panel de plans d'actions, législations ou mesures européennes dont l'exécutif européen s'évertue à faire la promotion depuis le début de son mandat.

Parmi elles, sa stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030, qui prévoit par exemple d'étendre les zones naturelles protégées à 30% des terres et des zones marines européennes, a même surpris les défenseurs de l'environnement par son ambition lors de sa présentation en mai. Une promesse de leadership environnemental que la Commission semble vouloir réitérer sur un dossier qui traîne dans les placards bruxellois : la fin du commerce légal (et par extension illégal) de l'ivoire.

Jeudi, l'exécutif communautaire a en effet annoncé soumettre à consultation publique jusqu'à la fin février une batterie de dispositions visant à interdire le commerce de l'or blanc au sein de l'UE – après avoir prohibé l'export de l'ivoire brut en 2017. L'objectif ? Assécher le marché noir en fermant le marché intérieur européen, et notamment en bannissant l'achat et la vente d'objets en ivoire à l'exception des instruments de musique acquis avant 1975 et des antiquités en règle.

Ainsi, espère la Commission européenne, le continent ne serait plus une «plaque tournante» du blanchiment de l'ivoire d'éléphants braconnés à ces fins en Afrique par les trafiquants. «Le commerce illégal de l'ivoire est un problème international et nous sommes déterminés à montrer l'exemple et à jouer notre rôle dans la résolution de ce problème mondial, justifie à ce propos le commissaire européen chargé de l'Environnement, le Lituanien Virginijus Sinkevičius. La proposition de règles plus strictes présentée aujourd'hui reflète cette ambition.»

«Créer un effet domino»

C'est aussi l'analyse des ONG engagées dans la lutte contre le braconnage et le trafic d'espèces, à l'instar du Fonds mondial pour la protection des animaux (IFAW). «Quand on a débuté notre campagne pour l'interdiction du commerce de l'ivoire dans l'UE, ce n'était pas considéré comme un problème européen. C'est pour cela qu'on est satisfait par ces mesures : car elles marquent une prise de conscience, se félicite, au bout du téléphone, Eleonora Panella, chargée de campagne de l'organisation canadienne. Et puis, c'est l'application du principe de précaution.»

Car, là encore, il y a urgence à agir pour endiguer le braconnage des pachydermes, un très lucratif trafic estimé à 20 milliards de dollars annuels. Malgré la prohibition internationale du commerce d'ivoire en 1989, lorsque les éléphants d'Afrique ont été inscrits en Annexe I de la Convention internationale sur les espèces protégées (Cites), on estime que 20 000 à 30 000 de ces gros mammifères sont toujours tués chaque année pour leurs défenses. Soit 55 éléphants par jour pour une population totale de 350 000 à 415 000 individus environ selon les sources – ils étaient plus d'un million en 1970 – répartis pour le gros des troupes entre l'Afrique australe (Botswana, Afrique du Sud) et l'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Mozambique).

«Cela reste difficile à estimer, surtout avec la pandémie de Covid-19. Mais avec la crise sanitaire, qui a aussi affecté les ressources financières des Etats africains, le niveau de braconnage est de nouveau reparti à la hausse», poursuit Eleonora Panella. Or, l'interdiction du commerce légal d'ivoire accolée à d'autres mesures de préservation de l'espèce est jugée efficace contre ce fléau, l'une des principales menaces pour la survie des éléphants sur le continent. En Chine, où il a été banni en 2016, le prix du kilo d'ivoire s'est effondré, ainsi que le marché domestique.

Une excellente nouvelle pour les ONG de protection de la biodiversité, qui, en revanche, ne compense pas l'affaiblissement des mesures de protection des pachydermes dans certains pays africains, la persistance de marchés licites, en Europe et au Japon notamment, ou leur transfert vers de nouveaux horizons dans le Sud-Est asiatique. «En France, en Belgique ou au Royaume-Uni, l'interdiction du commerce de l'ivoire n'est pas effective ou n'a pas produit ses effets. L'idée, c'est donc de créer un effet domino sur tous les pays pour entraîner une diminution de la demande globale», résume la chargée de campagne du IFAW. D'ailleurs, tous les Etats avec un marché légal doivent désormais rendre des comptes en publiant un rapport annuel sur leurs stocks d'ivoire et les efforts menés pour empêcher les dérives. Une obligation de résultats qui incite plutôt à mettre fin à ce commerce d'un autre temps. Ce à quoi pensent aussi l'Australie ou Israël.