Une image existe. En retard sur l'action et occultant par-là même une (éventuelle) preuve, mais elle est là, filmée depuis le bord de touche lors de la première mi-temps du match pourri remporté (1-0) dimanche par l'OM au Parc des princes ; premier succès des Marseillais sur le PSG depuis neuf ans. On y voit Neymar désignant du doigt le défenseur espagnol de l'OM Alvaro González et s'adresser à l'arbitre Jérôme Brisard : «Racisme ou non ? Racisme ou non ?» Trois secondes. Suffisant pour se faire une conviction : ou bien Neymar a entendu une insulte à caractère raciste, ou il a cru l'entendre.
La scène occulte les mots de González pour peu qu'ils existent. Elle s'ouvre cependant sur le visage de l'Espagnol, comme si le réalisateur le posait comme protagoniste. Le foot français a un sale «classico» sur les bras. L'OM a imposé son match au PSG dimanche, c'était celui du jeu de football envisagé comme un combat avec son lot de provocations - elles avaient commencé bien en amont du match, le meneur de l'OM, Dimitri Payet, se réjouissant sur Twitter de la défaite de Neymar & co en finale de la Ligue des champions face au Bayern (0-1) le 23 août - et les égouts du foot hexagonal ont débordé en surface.
Le cadre a explosé : cinq expulsions et quatorze jaunes, les joueurs ont fait sauter tous les filtres. Et Neymar est passé par Twitter pour s'exprimer, avec un premier message à chaud qualifiant Alvaro de «connard» et un second sur le fond de l'affaire : «Choper mon agression à la VAR [le Brésilien a été expulsé après arbitrage vidéo pour avoir mis une beigne à Alvaro, ndlr], c'est facile mais maintenant, je veux voir l'image du raciste qui m'appelle "mono hijo de puta" [«singe fils de pute» en espagnol, le reste du tweet étant en portugais, ce qui laisse penser à une citation], c'est ça que je veux voir !»
Déplomber. Alvaro a répondu sur Twitter avec une photo prise au pied de l'avion du retour entouré de plusieurs joueurs noirs de l'OM (Bouna Sarr, Steve Mandanda, Pape Gueye…) et du défenseur japonais Yuto Nagatomo, pas un Blanc sur l'image par souci (on le présume) de mise en scène, et le message suivant en légende : «Il n'y a pas de place pour le racisme. Carrière propre avec beaucoup de coéquipiers et d'amis au quotidien. Il faut parfois apprendre à perdre et assumer sur le terrain.» Neymar lui a répondu à son tour, confirmant l'insulte.
Parole contre parole : si la nervosité du Brésilien laisse deviner qu’il est tombé dans le panneau de la provocation, reste à savoir quels ont été les «arguments» de celui ou ceux qui l’ont fait déplomber.
La commission de discipline de la Ligue se saisira du cas des cinq joueurs expulsés dimanche dès mercredi : le cas Neymar pourrait nécessiter une instruction plus en profondeur. Dans un communiqué du PSG où le club précise «soutenir fermement» sa star, une forme de pression a été mise sur l'instance, sommée de «faire la lumière sur ces faits». La commission jugera aussi de l'importance du phénoménal coup de saton de Layvin Kurzawa sur le défenseur marseillais Jordan Amavi. Ou du crachat administré à Alvaro (encore lui) par un Di María sortant tout juste d'une quarantaine pour test positif au Covid.
Dimanche, on a senti le coach marseillais André Villas-Boas un peu serré au moment de défendre Alvaro, qu'il tient pour son défenseur de référence (impact, calme, hauteur du pressing) : «J'espère que ça ne va pas mettre du noir sur cette victoire [une allusion à une possible suspension d'Alvaro si les insultes étaient avérées]. Je ne pense pas parce que je sais qu'Alvaro est un joueur expérimenté. Il n'y a bien évidemment pas de place pour le racisme sur un terrain et je ne pense pas que c'était le cas lors du match.»
Crème. L'«expérience» d'Alvaro - la conscience de la présence des micros et caméras, en clair - comme seule barrière contre l'insulte raciste : on ne mettrait pas la main au feu sur son innocence, et Villas-Boas non plus. Pour le crachat de Di María, un témoin a entendu préalablement Alvaro évoquer «la chatte à ta mère» de l'attaquant argentin : du foot de cour de récré, en roue libre.
Fin août, le PSG décidait de reporter son entrée dans la Ligue 1 à Lens, pour se remettre émotionnellement de sa finale de Ligue des champions face au Bayern ? Ça passe crème. Dans la foulée, les stars parisiennes filaient à Ibiza pour en revenir presque toutes positives au coronavirus, différant d’autant leur entrée dans une compétition que leur club avait méprisée ? Mais comment donc, pourquoi pas.
Leur coach, Thomas Tuchel, s'est exprimé dimanche après la partie. Il a dit des choses étranges, sur la proportion de Sud-Américains au sang chaud dans son vestiaire ou sur le «grand match» auquel il avait assisté. Son attitude était celle d'un témoin extérieur, bienveillant et ennuyé. Qui tient le gouvernail ? Ni lui, ni l'arbitre de dimanche, ni les instances qui permettent ce cirque et tenteront de sauver les apparences en calibrant les sanctions qui ne manqueront pas de tomber. Les joueurs, eux, ont coulé à pic.