Samedi, veille de la toute première finale de Ligue des champions de sa jeune carrière, Kylian Mbappé avait en quelque sorte inversé le processus. Pour lui, c'est parce que cette édition était différente - tournoi final ramassé sur dix jours, disparité dans les préparations physiques due aux protocoles de lutte contre le coronavirus qui varient selon les pays, huis-clos, match sec plutôt qu'affrontement en aller-retour - qu'elle prenait toute sa valeur : «Tout le monde se rappellera cette édition-là. Ça en fait son prix.»
C’est le Bayern Munich, vainqueur (1-0) d’une petite finale mais d’un Paris-SG à la hauteur, qui mettra son nom sur la ligne de palmarès. L’attaque-mitrailleuse des Bavarois (155 buts cette saison, 4,2 par rencontre) a été tenue en respect, les champions de France ont fait le match mais leurs adversaires, en artistes si l’on peut dire, ont su gangrener l’affaire après la mi-temps. Et Neymar a plongé : isolé par l’organisation allemande, agacé dès l’heure de jeu, il n’a pas été en mesure de sortir l’habituel lapin du chapeau. Vivre à travers un joueur d’exception, c’est aussi tomber quand il tombe.
Pow-wow
Le début de match a frappé par son équilibre et par la réticence des deux équipes à perdre le ballon, c'est-à-dire à jouer vite. Le rapport de force présumé étant à l'avantage du Bayern (quatorze buts en trois matchs et deux semaines), cette parité a mis Kylian Mbappé et consorts dans le sens du match par la grâce d'un (relatif) effet de surprise : sur son banc, le coach des Bavarois, Hans-Dieter Flick, fume alors comme une locomotive, exhortant ses joueurs à faire ce pour quoi ils sont venus (contrôler le match) et lâcher le frein à main. Rien n'y a fait : le collectif parisien s'est installé dans le match petit à petit. Les occasions allaient suivre. A la 17e, Neymar frappe sous le gardien allemand Manuel Neuer, qui a laissé traîner une main sous son corps. Robert Lewandowski prend le poteau (21e), mais Angel Di María, mis sur orbite par Neymar et en position létale, envole son ballon dans le ciel lisboète (22e). Neymar multiplie les pow-wow sur le terrain. Ses coéquipiers écoutent religieusement.
Sur les Champs-Elysées, à la fin du match dimanche soir.
Photo Denis Allard pour Libération
Les Parisiens sentent alors quelque chose. Ils sont en train de remporter la bataille tactique, celle de la hauteur de bloc - les hommes de Tuchel le montent et le descendent à loisir sans qu'il perde sa compacité - et du combat au milieu de terrain. Sauf qu'un match ne se gagne pas au milieu, mais dans les deux surfaces de réparation : un échange virtuose «à toi à moi» avec le milieu Ander Herrera en pleine défense allemande laisse Mbappé seul face à Neuer, à 10 mètres du but… mais le champion du monde n'en met pas assez, sa frappe du plat du pied terminant dans les gants du portier allemand là où on imaginait un coup de sabot à fendre une enclume (45e).
Ça commence à faire beaucoup d’occasions de but enfumées, surtout à un niveau où la différence se fait usuellement sur un quart de poil de chameau. 0-0 aux citrons. Les Allemands pouvant faire valoir un possible penalty non sifflé en fin de première mi-temps, un poteau et un travail de sape sur les côtés dont on se doute qu’il finira par se traduire en opportunités, les deux équipes sont sur leur fil. Au retour des vestiaires, l’agressivité est immédiatement montée d’un cran, plutôt du fait d’un Bayern Munich distribuant quelques coups de faux sur Neymar et semblant, à dessein, provoquer son adversaire pour susciter quelque chose. Plus une frappe, moins de centres ou alors longue distance, c’est-à-dire facile à lire pour les défenseurs (ils sont de face, contrairement aux attaquants), des prises à deux, du pressing, des coups. Un autre match. Les joueurs parisiens s’y perdent un peu.
Âpre et collant
Joshua Kimmich fait pleuvoir un centre un peu plus court que les autres depuis le côté droit : Thilo Kehrer hésite à suivre Lewandowski devant lui, lâché au marquage par son capitaine, Thiago Silva, ou l'international tricolore Kingsley Coman derrière lui. A force de se faire des nœuds dans la tête, Kehrer ne suit finalement personne, Coman camionne le ballon de la tête et les Bavarois prennent la main (1-0, 59e).
Tactiquement, le Bayern joue désormais sur du velours : très solide dans la confiscation du ballon et sa circulation, il a les moyens de faire courir le chronomètre sans dommage, d'autant qu'il peut se montrer prudent défensivement en limitant les montées de ses joueurs de côté. Pour autant, le Paris-SG reste alors vivant, actif, soucieux de placer ses flèches - Di María et Mbappé - en situation de un contre un. Pourtant, quand les attaquants du Paris-SG affrontent des joueurs standards (Alphonso Davies ou Niklas Süle) à ce niveau, il leur manque quelque chose, comme il a manqué quelque chose à Mbappé sur la frappe de la 45e minute : difficile de ne pas y voir un déficit de fraîcheur, soit l'ombre des conditions très particulières - quatre mois sans compétition en raison du confinement - dans lesquelles les joueurs auront approché cet étrange tournoi portugais.
Neuer sort encore une frappe à bout portant du Brésilien Marquinhos (69e), avec ce drôle de style (une jambe pliée à l'horizontale au ras du sol côté ouvert, une jambe presque debout côté fermé) dont il a l'exclusivité, mais c'est un tribut bien modeste au regard des minutes qui filent par paquets alors que le ballon est loin du but allemand, la supériorité globale des Allemands dans les airs, toutes les fois où les Parisiens se font enfermer sur les côtés, devant dès lors reculer pour reprendre l'ouvrage à l'endroit. Surtout, on a l'impression que c'est le second match qui ensevelit alors les joueurs des deux camps. Celui du retour des vestiaires. Plus âpre, un peu collant. Celui-là, c'est quand même souvent les équipes allemandes qui le remportent. Le Bayern a sans doute joué son moins bon match de la compétition. Mais il n'était pas venu non plus pour faire tourner les serviettes.