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Foot

Paris-SG : entorse à la victoire

Malgré son succès contre Saint-Etienne en Coupe de France vendredi, le club parisien est assailli par le doute après la blessure de sa star Kylian Mbappé. Une inquiétude caractéristique du projet qatari, alors que la Ligue des champions débute le 12 août.
Blessé à la cheville droite, Kylian Mbappé quitte le terrain lors du match entre le PSG et Saint-Etienne (1-0), vendredi au Stade de France. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 26 juillet 2020 à 18h11

La langue officielle du football étant le mensonge, il nous restait les attitudes, les hésitations : un regard en biais qui marque la censure ou le mécontentement, la moue disant l'hésitation. Vendredi, une heure après la chiche victoire (1-0, Kylian Mbappé à la construction, Neymar au violon) du Paris-SG devant l'AS Saint-Etienne en finale de Coupe de France à Saint-Denis, le coach parisien, Thomas Tuchel, s'est vu demander s'il était «inquiet», ses hommes s'étant fait plus (Mbappé) ou moins (Neymar, Leandro Paredes) secouer par l'engagement physique des Verts. «Pouah… Tous ceux qui vivraient ce qu'on a vécu le seraient, inquiets ! Tous ceux qui ont vu cette faute-là [le tacle du défenseur stéphanois Loïc Perrin ayant gravement blessé Mbappé à la 26e minute, ndlr] le sont, inquiets !»

Protocole post-coronavirus oblige, l’entraîneur des champions de France en titre s’exprimait masqué : faute de voir son visage pour appuyer ses mots, ceux-ci sont restés en suspens : quelque part entre l’indignation forcée, l’inquiétude réelle et l’empathie obligée d’un coach envers un vestiaire où la plupart des joueurs sont bien mieux payés que lui. Le premier match de compétition disputé dans l’Hexagone depuis quatre mois aura été d’une ambiguïté merveilleuse, iridescente : le bien et le mal se sont succédé suivant le point de vue et le moment pour ensuite se confondre. Faute d’en avoir plein la bouche ou plein les yeux, les présents en ont eu plein la tête.

Quelle est la gravité de la blessure de Mbappé ?

Le club de la capitale a communiqué sur la blessure de son attaquant samedi, en début d'après-midi : «Entorse de la cheville droite avec lésion importante du compartiment latéral externe, à réévaluer dans les soixante-douze heures [mardi, donc] d'un point de vue clinique et imagerie», le temps que l'œdème se résorbe, ce qui permettra de mieux lire l'image à résonance magnétique (IRM). Tout est dans l'adjectif «importante» : il n'est pas là par hasard. Et il laisse augurer une absence de la star non seulement contre l'Olympique lyonnais au même endroit (le Stade de France de Saint-Denis) et dans les mêmes conditions (huis clos) vendredi en finale de la Coupe de la Ligue, mais aussi et surtout dans moins de trois semaines à Lisbonne, où une Ligue des champions en mode blitz (quart de finale, demi-finale et finale sur un seul match et dévalés en onze jours) rendra un verdict en accéléré.

Signe de la confusion des temps : c'est le président de la République, Emmanuel Macron, qui aura fait le premier sortir l'information du vestiaire, s'enquérant de l'état de santé du joueur lors d'un protocole d'après-match embarrassant (protocole sanitaire oblige) et s'entendant répondre un «ça a craqué» capté par les micros de France Télés. On imagine qu'en retour, Mbappé s'est vu expliquer les subtilités du plan de relance européen à 750 milliards d'euros conclu par Macron trois jours plus tôt : on plaisante à peine.

Dans le détail, le comportement du Parisien de naissance mérite le détour. S'il a quitté le terrain en larmes, il a affiché ensuite une attitude profondément collective, chambrant (en béquilles) au pied du podium des coéquipiers parfois embarrassés (Marco Verratti) par son attitude, tweetant dès le lendemain son bonheur simple de joueur («réveil en tant que vainqueur, pas de meilleure sensation possible») et retweetant, tiens donc, le message de prompt rétablissement conjoint de Perrin et de l'AS Saint-Etienne. Mbappé, qui n'a pas accordé la moindre interview depuis janvier (à la BBC), est dans son couloir : celui du corporatisme au-delà même du vestiaire parisien, c'est-à-dire dans ce sport dont il imagine infléchir l'histoire depuis qu'il est gosse. Une manière de protection (joueur je suis, joueur je reste) et peut-être plus que ça : à ses yeux, le foot n'est pas un viatique vers autre chose - la notoriété, l'argent ou autre. Mais l'alpha et l'oméga.

Quelles conséquences pour le club parisien ?

Une fois qu’on a mesuré la perte sportive que constituerait l’absence d’un Mbappé qui a évolué vendredi sur une autre planète que les copains pendant vingt-six minutes, il faut faire avec : les débats sur sa présence ou non sur le terrain le 12 août contre les Italiens de l’Atalanta Bergame en quart de finale de Ligue des champions s’annoncent récurrents. Et ils se payent.

Dans un foot moderne féru de «gains marginaux» (servir des tomates épluchées aux joueurs pour faciliter leur digestion, sous-cuire les pâtes pour prolonger l'effet nutritif…), une approche de compétition écrasée médiatiquement par la blessure d'un joueur, en plus de mettre le poison de l'inutilité dans l'inconscient des valides - et nous, on sert à quoi ? -, installe un environnement négatif contre lequel le directeur sportif parisien Leonardo a lutté tant et plus par le passé, saisissant les micros pour balancer à l'envi des «rien n'est grave» ou «personne n'est mort» qui ont parfois eu l'effet paradoxal d'augmenter sinon le malaise, du moins la tension.

Au-delà, une absence de Mbappé aurait une portée existentielle, tout comme celles de Neymar (fracture du métatarse en 2018, lésion intercostale en janvier) jusqu’ici : dans un club conceptualisé pour tourner autour d’une ou deux stars (contrairement au Real Madrid de cette saison, par exemple), leur absence est, par essence, plus difficile à surmonter qu’ailleurs.

Quelle image l’équipe parisienne a-t-elle donnée ?

Hormis le magnum de champagne dont s'est servi le défenseur Presnel Kimpembe pour arroser ceux qui répondaient aux questions des journalistes après la rencontre, l'heure n'était pas à la rigolade. «On n'a pas très bien joué, a reconnu le capitaine Thiago Silva, à la situation contractuelle quelque peu baroque puisqu'il a reçu l'assurance que son bail parisien, qui court depuis 2012, s'arrêterait après l'expédition lisboète. On a rencontré beaucoup de difficultés et on va en reparler après [entre nous]. Ça n'a pas été facile aussi de voir ce qu'il est arrivé à Kylian. Donc il y a un sentiment de tristesse pour lui, et en même temps la satisfaction d'avoir remporté un titre. On a le temps. J'espère que Kylian va se remettre le plus vite possible, car c'est un joueur indispensable pour nous.»

Outre le fait qu'il remette la tête de l'assemblée dans le fond du saut où repose la blessure d'un joueur «indispensable», le défenseur brésilien dessine en creux l'éternelle damnation d'une équipe qui remporte les matchs parce qu'elle le doit plutôt que parce qu'elle le veut, portant le poids des énormes moyens dont elle dispose - 560 millions d'euros estimés par exercice, le club refuse de communiquer là-dessus - au lieu d'y voir un raccourci primesautier vers le succès. Son compatriote Marquinhos a surenchéri : «On ne va pas toujours faire le show, mettre des 4-0, 5-0 ou des 8-0. Il faut aussi savoir gagner des matchs où on est mal.» Mais personne ne lui demande de gagner 8-0. Pour autant, il l'imagine et il vit avec ce 8-0.

Le Paris-SG a remporté vendredi son dix-septième titre de l'ère qatarie comme on écarte une branche d'arbre lors d'une balade en forêt, avant d'écarter la suivante vendredi contre l'OL, puis encore une, puis… Les matchs amicaux disputés par le club depuis deux semaines, négociés tout en plaisir du jeu et sur des scores de jeux vidéo (9-0 contre Le Havre, 7-0 contre Waasland-Beveren…) étaient en vérité des parodies quasi scénarisées, honteuses du strict point de vue éthique, où l'adversaire était discrètement invité avant le coup d'envoi à «ne pas mettre d'impact» comme l'avait souligné, amusé pour ne pas dire plus, un défenseur stéphanois une dizaine de jours avant la finale. Il ne fallait surtout pas confondre.

Quel goût a le football post-coronavirus ?

Pris dans l'immensité d'un Stade de France désert, jauge à 5 000 spectateurs maximum dans une enceinte pouvant en contenir seize fois plus oblige, les présents ont été sévères, pointant parfois une certaine perte de sens. Nourris au football sous abat-jour comme il se décline depuis trois mois (voire Libération de vendredi) dans les championnats européens qui ont repris à huis clos, les téléspectateurs auront été à l'inverse embringués par la grâce d'une réalisation tout en plans serrés dans un renversement de situation digne des meilleures fictions hollywoodiennes : dimensionnée par l'engagement physique et l'agressivité du Saint-Etienne entraîné par Claude Puel, la finale de vendredi aura été d'une intensité sportive exceptionnelle, donnant à voir des qualités de combat, de solidarité et de courage. Qui, jusqu'à preuve du contraire, font spectacle, au même titre que la virtuosité technique de Neymar ou la vitesse de Mbappé sur ses premiers appuis et au-delà.

Après le match, Puel a longuement félicité ses joueurs, réduit à dix pendant plus d'une heure : «Depuis la reprise [de l'entraînement] le 17 juin, ils se sont donné les moyens d'être très professionnels, appliqués, avec beaucoup d'écoute et d'investissement pour faire un gros match. On avait pris des options et je pense que c'étaient les bonnes jusqu'à l'expulsion. On a été entreprenants.» Le postulat d'Euclide : à huis clos ou non, un match de foot est ce que les joueurs en font, pas plus, pas moins

En annexe : il y a deux matchs de football en filigrane de chaque rencontre. Celui que veut jouer l’une des deux équipes (contrôle du ballon et vitesse dans le cas des Parisiens vendredi, pour faire parler les capacités techniques et athlétiques des joueurs) et celui que compte disputer son adversaire - et c’est celui de l’AS Saint-Etienne que l’on a vu à Saint-Denis, pas l’autre, ou par éclairs. L’un d’eux a suffi pour faire tomber la Coupe de France dans les bras de Marquinos et consorts.

Mais Puel avait compris : depuis le redimensionnement du club parisien durant l’été 2017 et l’arrivée des Mbappé et de Neymar pour quelque 400 millions sans même parler du premier euro de salaire, il manque quelque chose à ce Paris-SG-là dans le combat et dans son approche de la geste collective. Après la blessure de Mbappé, Neymar s’est prudemment retiré des débats, donnant l’impression de donner rendez-vous pour plus tard : il aurait été tout aussi simple de le remplacer, d’autant que le nombre de changements autorisés est passé de trois à cinq, mais ça, Tuchel ne peut pas le faire, ce qui souligne la préhension (proverbiale, dans le cas du Paris-SG) des stars parisiennes sur le club.

De l’engagement stéphanois à la psyché du Brésilien, le foot post-coronavirus déroule le même fil que celui d’avant. Il n’a pas basculé dans le chaos. Il résiste.