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Récit

Une mère française en grève de la faim pour faire rapatrier sa fille détenue en Syrie

Enfermée avec ses quatre enfants dans un camp du nord-est syrien, la fille de Pascale Descamps est atteinte d'un cancer du côlon. Plusieurs comités de l'ONU mais aussi des magistrats chargés de la lutte antiterroriste fustigent pourtant la doctrine française, qui a cédé à la pression des sondages.
Pascale Descamps pose devant des photos de sa fille, le 25 novembre. (Photo Denis Charlet. AFP)
publié le 1er février 2021 à 18h39

Pascale Descamps a alerté le Quai d'Orsay, le ministère de la Justice et l'Elysée. Elle leur a fait suivre les messages alarmants que sa fille de 32 ans, détenue en Syrie, lui envoie depuis l'automne. Elle souffre d'un cancer du côlon et son état se dégrade. Elle vit dans une tente du camp de Roj avec ses quatre enfants, âgés de 2 ans et demi à 11 ans. Pascale Descamps n'a jamais reçu aucune réponse, juste des promesses que ses demandes de rapatriement seraient transmises. Lundi, la jeune grand-mère qui vit à Boulogne-sur-mer a entamé une grève de la faim. «Il ne se passe rien. Je suis obligée d'en arriver là, explique-t-elle à LibérationMa fille est épuisée, elle souffre de plus en plus. Elle a sans arrêt des nausées et perd beaucoup de sang. Elle est épuisée.»

La fille de Pascale Descamps est partie en 2015 en Syrie rejoindre l'Etat islamique avec son compagnon et leurs trois enfants. Lorsqu'il a été tué, elle s'est remariée et a eu un autre enfant. Début 2019, elle était à Al Baghouz, dernier lambeau du califat aux confins de la Syrie et de l'Irak. Elle s'est rendue peu après aux Forces démocratiques syriennes, une alliance de combattants kurdes et arabes qui assiégeaient le village. Elle est depuis détenue avec ses quatre enfants.

«Cas par cas»

En novembre, un cancer du colon lui a été diagnostiqué dans un hôpital de Qamishli, l'une des principales villes du Kurdistan syrien. «Le médecin lui a dit qu'il fallait l'opérer d'urgence, mais que s'il le faisait dans cet hôpital, elle ne survivrait pas. Il lui a conseillé de demander à être rapatriée», explique Pascale Descamps.

La France ne procède qu'à des rapatriements «au cas par cas». Sur environ 80 femmes et plus de 200 enfants, seuls 35 enfants ont été ramenés en France. Soit parce qu'ils étaient orphelins, soit parce que leur mère a accepté qu'ils soient rapatriés sans elle.

La doctrine française fait l'unanimité contre elle. Les ONG, l'ONU mais aussi les services de sécurité et les magistrats chargés de la lutte antiterroriste réclament le rapatriement non seulement des enfants, mais aussi des femmes et des hommes. Une option qui était privilégiée au printemps 2019. Selon une liste de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) que s'était procurée Libération, tous les ressortissants français s'étaient vus attribuer des places dans des avions pour les rapatrier. Mais la pression de l'opinion publique, hostile selon des sondages, a fait reculer le président Emmanuel Macron.

Accès aux soins

Depuis, au moins 14 Françaises se sont évadées des camps syriens. Parmi elles figure Hayat Boumeddiene, ex-compagne d’Amedy Coulibaly, l’auteur de l’attentat contre l’Hyper Casher à Paris le 13 novembre 2015, condamnée à 30 ans de réclusion en décembre. D’autres ont rejoint la Turquie où elles restent en attente de leur expulsion vers la France.

La fille de Pascale Descamps fait l'objet de deux mandats d'arrêt internationaux. «Elle doit rendre des comptes mais elle a le droit à un procès juste et équitable. Le refus de la rapatrier revient à la condamner à mort sans jugement. C'est indigne. Et que va-t-il advenir de ses enfants ? Cela dépasse l'entendement de laisser comme ça, sans rien faire, assister à la dégradation de l'état de santé de leur mère.»

Saisi fin novembre, le comité contre la torture du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a demandé le 14 décembre à la France de «prendre les mesures consulaires nécessaires [pour] assurer l'intégrité» de la fille de Pascale Descamps, y compris «l'accès aux soins médicaux».

Le 2 novembre, un autre comité de l'ONU, celui des droits de l'enfant, a rejeté les arguments de la France qui estimait qu'elle n'avait pas «juridiction» sur les enfants français détenus dans les camps syriens. «Leurs conditions de détention représentent un risque imminent d'atteinte irréparable à leur vie, à leur intégrité physique et mentale et à leur développement», indiquent ses conclusions. Le comité doit déterminer dans les prochains mois si la France a l'obligation légale de les rapatrier.

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