Les deux sites sont apparus sur Internet à un mois et demi d'intervalle, et se ressemblent étrangement. Début décembre, le premier, nommé Hundub, a surgi en Hongrie. Présentation et fonctionnalités sont copiées quasi trait pour trait sur Facebook, mais l'ambition proclamée est d'offrir un espace de parole «non censuré». Le 20 janvier est né son équivalent polonais, Albicla, présenté comme une «réponse directe à la censure croissante sur Internet». Là aussi, le réseau social de Mark Zuckerberg a été imité, au point que les conditions d'utilisation de Facebook ont été copiées-collées.
Les débuts ont été chaotiques, surtout pour Albicla. Le réseau a été mis en ligne dans la précipitation pour que son lancement coïncide avec le dernier jour au pouvoir de Donald Trump, «leader du monde libre», banni de Twitter, Facebook et Instagram à la toute fin de son mandat. Deux jours plus tard, le site «anticensure» bloquait temporairement la possibilité de commenter les posts, après trop d'infractions aux conditions d'utilisation. Les failles de sécurité du réseau semblent béantes. Des utilisateurs ont rapidement réussi à modifier l'aspect de l'interface et le logo. Plus inquiétant, la base de données recensant tous les utilisateurs et leurs informations personnelles pouvait être téléchargée le jour qui a suivi le lancement du site.
Le créateur d'Albicla est Tomasz Sakiewicz, le rédacteur en chef de Gazeta Polska, un journal très proche du gouvernement ultraconservateur polonais. L'hebdomadaire avait déjà créé le scandale en 2019, en distribuant des autocollants «zones sans LGBT» avec son édition de la semaine, à une époque où les mairies dirigées par le parti Droit et Justice (PiS) commençaient à voter des résolutions déclarant leurs villes «libres de l'idéologie LGBT».
Les liens entre le créateur de Hundub et le parti du Fidesz, au pouvoir en Hongrie, sont moins évidents. Avant le lancement de son site, Csaba Pál n'avait aucune notoriété et son réseau a été financé par une compagnie offshore enregistrée au Belize. Il affirme n'être soutenu «ni par [le Premier ministre] Orbán ni par Soros [le financier américain, mécène de plusieurs institutions libérales, devenu la bête noire du gouvernement hongrois, ndlr]». Sur son réseau, «personne ne sera bloqué ou supprimé en raison de ses opinions politiques. Nous ne chercherons pas à créer des tendances ni à influencer personne en quoi que ce soit», a-t-il promis. Le label rouge «Big Brother interdirait sûrement», destiné à propulser les contenus politiquement incorrects ou les pages complotistes automatiquement proposées aux utilisateurs, suggère pourtant clairement un fonds de commerce idéologique. Viktor Orbán ne s'y est pas trompé en rejoignant dès les premiers jours le réseau, qui comptait 40 000 utilisateurs après un mois d'existence.
Pour le gouvernement hongrois, la mise en ligne de Hundub tombe à pic. Depuis des mois, la ministre de la Justice, Judit Varga, accuse les géants des réseaux sociaux de censure idéologique. Le 26 janvier, elle a annoncé - via Facebook - un nouveau projet de loi, qui sera présenté au printemps devant le Parlement. Il devrait garantir dans le pays le caractère «légal, transparent et contrôlable» des opérations de Facebook et consorts, que la ministre accuse de «limiter la visibilité des opinions chrétiennes, conservatrices et de droite».
En Pologne, le gouvernement s’inscrit sur la même ligne. Un projet de loi est en préparation pour empêcher que des publications qui respectent la loi nationale puissent être supprimées par les réseaux. Une mesure positive à première vue, la loi nationale étant un indicateur plus clair et plus légitime que la modération des plateformes. Mais comme le fait remarquer l’International Network Against Cyber Hate, cette nouvelle disposition pourrait aussi signifier que les attaques en ligne contre la communauté LGBT - qui ne sont pas couvertes par la législation nationale sur les discours haineux - risquent de rester impunies.