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Répression

Au Maroc, des voix dissidentes condamnées par la justice

L'historien Maâti Monjib, ainsi que six journalistes et militants, ont écopé de peines de prison et d'amendes, mercredi, au terme d'un procès fantôme.
L'historien marocain Maâti Monjib avec des soutiens, devant l'Association marocaine des droits humains, à Rabat en 2015. (Photo Fadel Senna. AFP)
publié le 29 janvier 2021 à 18h32

Depuis des années, l’historien vivait avec une épée de Damoclès judiciaire au-dessus de sa tête dégarnie. Quand les journalistes le rencontraient à la terrasse d’un café de Rabat, Maâti Monjib commençait souvent par raconter, dans les détails les plus absurdes, le harcèlement dont il était la cible. Il riait jaune, épuisé par la surveillance, serrée et inlassable, des services de renseignement marocains. Mercredi, l’épée s’est finalement abattue. Maâti Monjib, 60 ans, a été condamné à un an de prison ferme pour «fraude» et «atteinte à la sécurité de l’Etat» lors d’une audience à laquelle ni lui ni ses avocats n’ont assisté.

En même temps que l'historien et éditorialiste, six journalistes et militants des droits humains ont été condamnés au terme de cette affaire, ouverte en 2015. A l'époque, quelques sessions de formation à StoryMaker, une application sécurisée qui permet aux journalistes citoyens de publier du contenu de manière anonyme, en partenariat avec l'ONG néerlandaise Free Press Unlimited, avaient suffi à déclencher les foudres judiciaires du royaume. Voilà pour l'«atteinte à la sécurité de l'Etat». Comme Maâti Monjib, trois prévenus ont écopé d'une peine de prison ferme.

Vingt reports successifs

Ils sont actuellement en exil en Europe, où ils ont obtenu l’asile politique. Seul Maâti Monjib réside au Maroc. Depuis un mois, il avait été placé en détention préventive dans le cadre d’une autre affaire, concernant cette fois le fonctionnement de son institut, le centre Ibn Rochd d’études et de communication, soupçonné d’avoir reçu des financements en provenance de l’étranger et fermé en 2014 par le ministère de l’Intérieur. L’historien est cette fois officiellement suspecté de «blanchiment de capitaux».

«L'Etat marocain utilise le pouvoir judiciaire pour faire taire les voix critiques, commente le journaliste Abdessamad Ait Aicha, condamné mercredi à un an de prison. Après vingt reports successifs, ils ont soudainement bouclé notre procès en catimini pour deux raisons. En finir avec cette affaire très suivie par les organisations internationales de défense des droits de l'homme. Et justifier le maintien en détention de Maâti Monjib, arrêté le 29 décembre.»

Logiciel espion

L'ONG Amnesty International avait révélé l'an dernier, dans une enquête fouillée, que le smartphone du militant avait été la cible d'attaques informatiques menées à l'aide du logiciel espion Pegasus, au moins depuis 2017. Dans une interview à l'Humanité et Mediapart publiée en septembre, Maâti Monjib dénonçait encore, en septembre, un «régime fondé sur le cynisme politique et la calomnie». Il s'exprimait notamment sur le cas d'Omar Radi, autre journaliste marocain dissident, arrêté en juillet sous les mêmes charges de «financements étrangers» et «atteinte à la sécurité de l'Etat», mais aussi pour «viol». Lui aussi a été espionné par les autorités marocaines, selon Amnesty International. L'ONG appelle à la libération des deux militants.

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