Le «gouvernement Macron», tel qu'il est surnommé au Liban, tarde à voir le jour. Le délai de deux semaines fixé par le président français lors de sa dernière visite à Beyrouth, le 1er septembre, a été dépassé mardi sans que le nouveau Premier ministre, Moustapha Adib, ne réussisse à former son équipe. Certes, il assurait encore jeudi : «Je ne veux pas dévier de ma mission» et l'Elysée, tout en «regrettant» le non-respect des engagements, indiquait qu'«il n'est pas encore trop tard : chacun doit prendre ses responsabilités et agir enfin dans le seul intérêt du Liban». Mais les complications s'accumulent.
A l'origine du blocage, l'exigence formulée par Nabih Berri, président du Parlement et chef du mouvement Amal, soutenu par le puissant Hezbollah, de nommer un chiite comme ministre des Finances. Un premier accroc de taille au principe d'un «gouvernement de mission» tel que présenté par l'Elysée, composé de ministres choisis pour leurs compétences et non pour leur appartenance communautaire ou leur affiliation partisane. Et cela pour mener les réformes urgentes pour sortir le Liban de la crise économique, sociale et financière sans précédent dans laquelle il sombre depuis près d'un an. «Ces réformes nécessaires ne peuvent se faire sans la coopération de la classe politique, a jugé Macron, qui a dit aux chefs de partis libanais : "Faisons-les ensemble", explique Nadim Houry, directeur exécutif de Arab Reform Initiative. Mais la question est de savoir quelles carottes et quels bâtons Macron peut-il agiter face aux politiques libanais. Or la France ne semble pas avoir anticipé la capacité de blocage des chefs de partis libanais, qui ne pensent qu'à gagner du temps.»
Bras de fer
En effet, ni le dialogue engagé par Emmanuel Macron à Beyrouth avec le Hezbollah, au même titre qu’avec les autres dirigeants libanais, ni la mise à l’écart des sujets qui fâchent, dont le désarmement de la milice réclamée par la communauté internationale et une majorité de Libanais, n’ont constitué une carotte suffisante. Quant au bâton, il a été manipulé par les Etats-Unis dans l’intervalle. Washington a imposé des sanctions le 9 septembre contre deux anciens ministres libanais, accusés de corruption et de soutien au Hezbollah, classé organisation terroriste. L’un d’entre eux, Ali Hassan Khalil, pilier du parti Amal et ministre des Finances de 2014 à janvier 2020, est considéré comme le bras droit de Nabih Berri. Le duo chiite Berri-Hezbollah a d’ailleurs raidi ses positions sur le gouvernement après l’annonce des sanctions américaines. Jeudi, le Hezbollah accusait l’administration américaine d’obstruer la formation du cabinet en accord avec l’initiative française.
Un bras de fer est maintenant engagé par les partis chiites libanais, braqués sur leurs exigences, tant avec la France qu'avec leurs opposants libanais. Les anciens Premiers ministres sunnites, dont Saad Hariri, qui avaient choisi l'outsider Moustapha Adib comme chef de gouvernement, sont montés en première ligne pour défendre le plan français. «On ne sait plus si le bras de fer oppose Macron au duo chiite ou Berri à Hariri», relève Nadim Houri. Le jeu des rivalités libanaises reprend comme une addiction. «Si un compromis était trouvé, le "gouvernement de mission" défini par l'Elysée aurait échoué avant de naître, estime le spécialiste. Car si le Premier ministre et la France derrière lui cèdent sur la demande de ministres chiites agréés par les partis, l'initiative française perd sa crédibilité. D'autant que les autres partis ou communautés voudront à leur tour imposer leurs ministres.» Un nouveau délai (jusqu'à dimanche) a été fixé en accord avec Paris et les politiques libanais pour sortir un gouvernement du marécage.