Sur les murs d'un bâtiment ravagé par la guerre, deux hommes se font face sur une balançoire à bascule perchée sur une crête montagneuse. L'un pointe son arme sur son rival, l'autre est muni d'un simple crayon à papier en guise de bouclier. Cette nouvelle œuvre signée Abu Malek al-Shami, surnommé le «Banksy syrien», est apparue mystérieusement en juillet dans la ville d'Idlib, dernier bastion aux mains de groupes rebelles et jihadistes, dans le nord-ouest de la Syrie.
Ces dernières années, les champs de ruines sont devenus la toile de ce résistant de 26 ans. La ville de Daraya, berceau de la révolution, compte une trentaine de graffitis de l'artiste. Le plus connu d'entre eux – le sixième de la carrière d'al-Shami – montre une petite fille en robe, debout sur un monticule de crânes, en train d'inscrire le mot «Hope» («espoir») sur un toit bombardé. Comparé par certains observateurs à la célèbre œuvre la Petite Fille au ballon du street-artist britannique Banksy, le dessin a attiré l'attention au-delà des frontières syriennes lors de son apparition en 2014. «Cette comparaison me rend fier et me pousse à me dépasser, même si je ne suis pas sûr de la mériter, explique humblement al-Shami, contacté par messagerie instantanée. Je pense que l'impact de notre travail et les traces que nous laissons sont plus importants que notre nom ou notre signature.»
«Hope», al-Shami à Daraya en 2014. Photo Abu Malek al-Shami
Révolutionnaire
Comme Banksy, le jeune Syrien se décrit comme un artiste engagé et révolutionnaire. Originaire de Damas, il participe à la révolution dès 2011 avant de se réfugier deux ans plus tard à Daraya, la ville des roses, située à une dizaine de kilomètres de la capitale et échappant au contrôle du régime. La guerre a déjà eu raison des ambitions de l'adolescent. Lui qui se rêvait en architecte de renom a dû arrêter ses études et rejoindre les rangs de l'Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de la rébellion. Avec 73 000 morts, l'année 2013 est alors la plus sanglante du conflit. En août, une attaque au gaz sarin imputée au régime d'Assad a tué près de 1 300 personnes dans la Ghouta orientale. Daraya, qui subit un siège impitoyable imposé par Damas, fait aussi l'objet d'un intense pilonnage : elle est aujourd'hui détruite à 90%.
Révolté par la guerre, le rebelle profite de son temps libre pour écrire sur les murs des phrases optimistes et rendre hommage à ses amis décédés. Des textes anonymes – évoquant l'amour, la peur, l'humour et l'espoir – qui captiveront rapidement les habitants, notamment le photojournaliste Majd Maadamani, qui le pousse à utiliser son talent pour décorer les façades de la ville. «Nous voulions transformer les scènes de destruction en quelque chose de beau. Nous voulions faire de la couleur l'arme de notre révolution», raconte al-Shami.
Sa première fresque, intitulée Learn Love First («Apprends d'abord l'amour»), voit le jour en juillet 2014. Une fillette montrant un cœur à un combattant loyaliste assis en train de l'écouter. La plupart du temps, l'artiste utilise des toits détruits et inclinés pour que les graffitis soient visibles à la fois du ciel et du sol. A Daraya, il travaille la nuit. Car le jour, «l'armée bombardait tout ce qu'elle voyait». «Je fais en sorte que les dessins soient simples et compréhensibles par tous les habitants, qu'ils soient instruits, peu éduqués, civils, militaires ou politiques», ajoute-t-il.
«Love learn first», à Daraya en juillet 2014. Photo Abu Malek al-Shami
Expression artistique
Face à la brutalité de la guerre, l'art est devenu un instrument de résistance et de mobilisation politique à travers les zones libres de Syrie. «La révolte a libéré des énergies emprisonnées dans l'obscurité de la tyrannie pendant des décennies», peut-on lire sur le site The Creative Memory of the Syrian Revolution («la mémoire créative de la révolution syrienne»), où sont recensées plus de 33 000 œuvres artistiques et culturelles depuis 2011. Si l'expression artistique est toujours présente aujourd'hui, «le massacre de la Ghouta orientale lui a porté un énorme coup», explique la graphiste syrienne Sana Yazigi, à l'origine du projet. Les œuvres musicales ont pratiquement disparu. Le graffiti et la caricature, eux, continuent tant bien que mal à résister «sauf dans les territoires reconquis par Damas».
Ni sa blessure de guerre, ni le décès de son ami Majd ne donneront un coup d'arrêt à la créativité d'al-Shami. Pas plus que son départ de Daraya, étranglée par quatre années de siège, à l'issue d'un accord entre le régime et les insurgés, en 2016. A Idlib, célèbre pour ses graffitis, où il réside, l'artiste a déjà créé 17 peintures, malgré le désastre humanitaire qui plane sur les quatre millions d'habitants de la province.