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Royaume-Uni

Brexit : la fuite en avant de Boris Johnson

La tentative du gouvernement britannique de faire voter une loi permettant de renier des traités internationaux froisse à l'étranger mais aussi au sein du parti conservateur.
Boris Johnson, à Londres, le 9 septembre. (STEFAN ROUSSEAU/Photo Stefan Rousseau. AFP)
publié le 11 septembre 2020 à 15h50

Le 31 janvier 2020, Boris Johnson prononçait un discours signant le départ officiel du Royaume-Uni de l'Union européenne. Après 47 ans de participation intense à un projet totalement inédit, il disait «bye bye». «Nous souhaitons que ce jour marque le début d'une nouvelle ère de coopération amicale entre l'UE et un Royaume-Uni énergique» et brexité, promettait-il.

Huit mois plus tard, le paysage ressemble à un champ de ruine. Etape après étape, Boris Johnson et son gouvernement ont sapé la confiance et la bonne volonté des Européens. Le message posté jeudi soir sur twitter par Andreas Michaelis, ambassadeur allemand auprès du Royaume-Uni, en disait long sur la frustration européenne : «En plus de trente ans comme diplomate, je n'ai jamais expérimenté la détérioration si rapide, intentionnelle et profonde d'une négociation.» Que ce message ait été écrit par un diplomate est en soi extraordinaire. Par un diplomate allemand qui plus est. Evidemment validé par la chancellerie allemande qui occupe la présidence tournante de l'UE, le signal est très précis : «Ça suffit, il est temps de redevenir sérieux», résume une source diplomatique. Jusqu'ici, les Britanniques ont toujours pensé qu'Angela Merkel était plus conciliante que les Français par exemple et serait toujours prête à arrondir les angles des négociations. Ce n'est plus forcément le cas.

Fureur et incrédulité

Les conséquences précises de la décision d’introduire et de voter, à marche forcée, une loi prévoyant de fait la possibilité de violer des traités internationaux sont encore incertaines. Mais le Premier ministre britannique a franchi un nouveau pas dans l’outrance. Les provocations ne sont pas inédites au moment d’atteindre le coeur de négociations internationales délicates. Mais celle-ci va plus loin. Elle a provoqué la fureur, et une profonde incrédulité, à l’étranger. L’UE a demandé le retrait des articles contentieux de la loi. Michael Gove, ministre en charge du Brexit, a catégoriquement refusé. Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants aux Etats-Unis, a exclu tout futur accord de libre-échange avec les Etats-Unis si le gouvernement britannique revient sur l’accord du Brexit et le protocole nord-irlandais. Aux Etats-Unis, où beaucoup continuent de revendiquer leurs racines irlandaises, toute question concernant l’île et le processus de paix est extrêmement sensible.

Le malaise est présent aussi au Royaume-Uni, et plus spécifiquement au sein du parti conservateur. Comment un Premier ministre britannique, membre du parti tory, pour lequel l'Etat de droit et la primauté du marché sont des vertus cardinales, en est-il arrivé à assumer de ne pas respecter ses engagements internationaux ? Quelle image renvoie-t-il à l'étranger ? Les interventions d'anciens Premiers ministres, Theresa May, John Major, ou de ministres conservateurs se sont multipliées. «Comment pouvons-nous accuser la Russie ou la Chine ou l'Iran d'une conduite en-dessous des standards internationaux si nous montrons nous-même un tel dédain pour nos obligations contenues dans des traités ?» s'est indigné Lord Michael Howard, ancien ministre et chef du parti conservateur.

«La loi viole le droit international»

La loi sur le marché intérieur, outre ses articles qui permettraient de renier les engagements du Traité de retrait, propose aussi une dilution de la dévolution dans les différentes région du pays. Ce qui enrage évidemment les députés gallois, nord-irlandais et écossais. Le député conservateur Sir Bob Neill, juriste, a déposé un amendement à la loi. C'est à lui que le ministre à l'Irlande du Nord Brandon Lewis, dans l'enceinte de la Chambre des Communes, avait benoîtement répondu que «oui, la loi viole le droit international». Plus d'une trentaine de députés seraient déjà prêts à voter pour cet amendement. Vendredi en fin d'après-midi, Boris Johnson devait s'exprimer devant les députés de son parti pour tenter de calmer les esprits. Il devait y vanter sans doute la conclusion «de principe» d'un accord de libre-échange avec le Japon. Mais cet accord est en fait le copié-collé presque parfait de l'accord existant entre l'UE et le Japon. Et il ne représente qu'une amélioration de 0,07 % du PIB.

Officiellement, les négociations avec l’Union européenne pour un éventuel accord de libre-échange se poursuivent. Une nouvelle session est prévue la semaine prochaine à Bruxelles. Mais que se diront les négociateurs alors que la résolution des questions qui coincent – pêche, conditions de concurrence et gouvernance – n’a pas avancé d’un iota ? Et alors que les débats et le vote sur la loi sur le marché intérieur sont attendus en milieu de semaine ? Dans cette fuite en avant, Boris Johnson ira-t-il encore plus loin ? Jusqu’où ? Et jusqu’à quand ?

En quatre petites années, le Royaume-Uni est passé de membre proéminent et respecté de l’UE à un Etat isolé, fâché avec ses alliés et plus proches voisins commerciaux et regardé par le monde entier avec des yeux incrédules.

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