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Interview

Chine : «Faire des villageois des citadins aux habitudes consuméristes»

Pour la spécialiste de l’Asie rurale Kristen Looney, Xi Jinping veut briser la dépendance de la Chine au marché mondial en créant une société de consommation.
village de Nantong du comté de Xingxian, dans la province du Shanxi, au nord de la Chine. (Cao Yang/Photo Xinhua.AFP)
publié le 7 septembre 2020 à 17h11

Professeure à l’université américaine de Georgetown, Kristen Looney est spécialiste du développement rural en Asie. Elle analyse la «modernisation» à marche forcée des campagnes chinoises.

A quand remonte la décision d’atteindre une «société modérément prospère» ?

Ce n'est pas une idée nouvelle. Jiang Zemin [président de 1993 à 2003, ndlr] ou même Deng Xiaoping l'avaient déjà évoquée. Mais la nouveauté intervient en 2013, quand Xi Jinping ajoute cette notion d'«éradication de l'extrême pauvreté». C'est une mesure populiste révélatrice de la politique du président chinois. Pour Xi, ce but passe par la «modernisation rurale», avec la volonté de transformer les campagnes en de nouvelles villes. Et ce processus passe en grande partie par le logement.

Quelles sont les motivations du Parti communiste chinois ?

Après la crise asiatique, à la fin des années 90, la Chine s’est rendu compte de la nécessité de restructurer sa société en une société de consommation, afin de briser sa dépendance au marché mondial. Cette idée s’est renforcée au lendemain de la crise financière de 2008. Le but est de faire des villageois de nouveaux citadins aux habitudes consuméristes, en leur vendant l’idée qu’ils peuvent vivre comme les gens des grandes villes depuis la campagne. Une fois que les habitants déménagent dans les nouveaux complexes immobiliers, ils doivent acheter des biens pour meubler le logement et deviennent ainsi de nouveaux consommateurs. En déplaçant des personnes depuis des zones pauvres, où la consommation est faible, vers des régions semi-urbanisées, la Chine pense concrétiser sa vision d’une société de consommation et bien portante.

Les expropriations sont-elles aussi un moyen pour les pouvoirs locaux de soulager leurs finances au lendemain de la crise du coronavirus ?

En concentrant les personnes dans des logements en hauteur, cela libère des terres qui peuvent être revendues à des promoteurs immobiliers. Certaines terres cultivables sont protégées et ne peuvent faire l’objet de transactions, mais ces expropriations libèrent des quotas à l’échelle d’une agglomération et c’est une manière pour les autorités locales de renflouer leurs caisses quand l’économie patine. C’est ce qui est arrivé au lendemain de la crise asiatique et de celle de 2008.

Mais la date butoir imposée par Xi Jinping d'éradiquer la pauvreté d'ici la fin de l'année pèse aussi sur les dirigeants. Le président chinois n'a pas qualifié la «modernisation rurale» de «campagne» [au sens maoïste du terme], mais c'en est une. Et les dirigeants chargés de mener à bien le processus savent que s'ils n'atteignent pas l'objectif, il y aura des conséquences politiques.

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