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Analyse

Accord Serbie-Kosovo : Trump joue les courtiers et implique Israël

publié le 6 septembre 2020 à 18h11
(mis à jour le 6 septembre 2020 à 20h11)

Il y a deux Donald Trump à l'approche de la présidentielle de novembre. Celui qui joue à domicile est le pompier pyromane d'une Amérique fracassée en deux, refusant d'incarner l'apaisement à l'heure où la colère noire déborde et les milices prennent les rues, faisant prospérer ses chances électorales sur les divisions. Simultanément, sur la scène internationale, le président américain cherche à incarner une figure inverse. Celle du dealmaker ultime, le courtier suprême, capable de régler en un coup de stylo les conflits les plus embourbés, du Proche-Orient aux Balkans. Quitte à les nouer les uns aux autres dans un mélange des genres et des normes ahurissant, comme ce fut encore le cas vendredi à l'annonce d'un accord économique entre la Serbie et le Kosovo, agrémenté d'ouvertures franches envers Israël.

Ce nouveau moment, présenté comme «historique» par la Maison Blanche, s'est d'ailleurs résumé sur les réseaux sociaux à quelques secondes gaguesques de la vidéo officielle de la signature dans le Bureau ovale. Le président serbe, Aleksandar Vucic, semble médusé au moment où Trump le félicite de sa décision de déplacer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, en juillet. Comme s'il n'avait pas lu toutes les clauses… Vucic confirmera néanmoins peu après son intention de mettre à exécution ce point.

Outre les promesses de facilitation du négoce entre les deux parties et la construction d'infrastructures de transport communes, l'accord - qui ne prévoit pas la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par Belgrade et évite soigneusement les questions territoriales - contient un certain nombre de points chers à l'administration Trump et son allié israélien. Il en va ainsi de l'ouverture d'ambassades serbe et kosovare à Jérusalem, qui viendront doubler le nombre de représentations sises dans la Ville sainte. Et créeront un précédent européen. Enfin, le document précise que la Serbie et le Kosovo s'engagent à désigner le Hezbollah libanais comme une organisation terroriste et à ne pas acquérir de technologie 5G auprès de «vendeurs indignes de confiance» : comprendre le chinois Huawei. De son côté, Israël reconnaît le Kosovo (et vice versa).

L'annonce a été célébrée par un rarissime communiqué publié durant le sacro-saint shabbat par le Premier ministre israélien. Benyamin Nétanyahou s'est félicité qu'un «premier pays à majorité musulmane [promette] d'ouvrir une ambassade à Jérusalem». La preuve, selon lui, que «le cercle de la paix et de la reconnaissance d'Israël s'élargit de jour en jour», alors que l'administration américaine entend fêter d'ici une dizaine de jours la signature finale de l'accord de normalisation des relations entre l'Etat hébreu et les Emirats arabes unis, espérant créer une dynamique plus large au Moyen-Orient.

Pour Trump, ce rapprochement négocié dans le dos des Européens vient valider sa vision d'une diplomatie transactionnelle et unilatérale, basée sur des projections financières mirifiques faisant fi du passé et des idéologies. La «normalisation économique» plutôt que la résolution politique. Le Premier ministre kosovar, Avdullah Hoti, s'est ainsi vu promettre une retombée de 1 milliard d'euros pour son peuple si les chantiers évoqués dans l'accord aboutissaient dans les trois ans.

«Après une histoire violente et tragique et des années de négociations infructueuses, mon administration a trouvé un nouveau moyen de dépasser les clivages, en se concentrant sur la création d'emplois et l'économie», s'est félicité Trump. Très précisément l'approche que ses émissaires ont tenté d'appliquer au conflit israélo-palestinien, sans succès.

Vucic et Hoti sont attendus lundi à Bruxelles pour une nouvelle série de pourparlers avec le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Plusieurs observateurs ont pointé la fragilité de l’accord sous égide américaine, notant que celui-ci ne fixait aucune date butoir aux avancées discutées et risquait de s’écrouler en cas de non-réélection de Trump.

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