Au Venezuela, l’actualité politique fonctionne par à-coups. Des mois d’immobilisme et, parfois, quelques jours d’émulation intense où la situation semble se débloquer d’un coup, sans jamais que le problème de fond ne soit vraiment réglé : une crise politique et de légitimité entre un gouvernement et une opposition qui revendiquent tous deux le pouvoir.
C'est ce qui se passe depuis le début de la semaine après un été très calme, marqué comme partout par la crise sanitaire. Lundi dernier, Nicolás Maduro a décidé de gracier plus d'une centaine d'opposants afin de «promouvoir la réconciliation nationale». La plupart sont députés de l'Assemblée nationale ou collaborateurs du président du Parlement, l'opposant Juan Guaidó, reconnu président par intérim du Venezuela par une cinquantaine de pays, notamment les Etats-Unis.
Obtenir des compromis
Certains étaient enfermés dans des conditions difficiles depuis des mois, comme l'ancien chef de cabinet de Guaidó, Roberto Marrero, ou encore deux députés habitués des geôles vénézuéliennes, Gilber Caro et Renzo Prieto. D'autres avaient quitté le pays pour éviter un tel traitement, comme le député Miguel Pizarro. D'autres encore s'étaient réfugiés dans des représentations diplomatiques étrangères à Caracas à l'instar de Freddy Guevara, reclus à l'ambassade du Chili depuis presque trois ans, et accusé «d'incitation à la violence».
Il arrive régulièrement que les autorités libèrent quelques grandes figures de l'opposition pour obtenir des compromis ou faire bonne figure à l'international, mais jamais autant d'un seul coup. Certains grands noms ne sont d'ailleurs pas concernés, comme Juan Guaidó lui-même, toujours libre de ses mouvements mais poursuivi pour avoir voulu renverser Nicolás Maduro lors d'un appel au soulèvement de l'armée le 30 avril 2019. Ou encore Leopoldo López, réfugié à l'ambassade d'Espagne depuis sa libération par la force le jour du soulèvement militaire manqué.
Fracturer l’opposition
La grâce de cette semaine s'inscrit dans un contexte particulier. Le 6 décembre prochain, des élections législatives doivent se tenir pour renouveler l'Assemblée nationale, pour l'instant acquise à l'opposition, et sans laquelle Juan Guaidó ne pourrait plus revendiquer la présidence par intérim du pays. Or, faute de garanties pour que l'élection soit «juste et libre», l'opposant a décidé de boycotter le scrutin. «Avec cette grâce, Nicolás Maduro cherche à légitimer le scrutin à l'international en montrant sa bonne volonté vis-à-vis de l'opposition, analyse Jesús González, politologue à l'Université centrale du Venezuela. Le pays vit la pire crise économique de son histoire, et avec les sanctions américaines plus personne ne veut aider le Venezuela, donc il essaie de s'ouvrir comme il peut.»
«Il y a un peu de ça, c'est certain, mais ce n'est clairement pas le but premier du président», nuance Luis Vicente Leon, président de l'Institut Datanalisis. Selon lui, le chef de l'Etat cherche avant tout à fracturer une opposition déjà divisée sur sa stratégie vis-à-vis du scrutin de décembre. Car la grâce a été négociée par un poids lourd de l'opposition : Henrique Capriles, candidat à la présidentielle en 2012 contre le défunt Hugo Chávez, puis contre Nicolás Maduro qui l'a battu d'un fil en 2013. Avec un ancien bras droit de Juan Guaidó, Stalin González, ils proposent au contraire de participer à l'élection pour tenter de sortir du statu quo. «On ne peut pas continuer à prétendre que l'on gouverne sur les réseaux sociaux, a affirmé mercredi Henrique Capriles dans une critique adressée à l'opposant. Ou l'on est un gouvernement, ou l'on est une opposition mais on ne peut pas être les deux à la fois.»
«Ça passe ou ça casse»
Pour comprendre cette attaque, il faut distinguer les trois mouvements qui divisent actuellement l'opposition selon Luis Vicente Leon : «Il y a une opposition radicale autour de María Corina Machado qui rêve d'une intervention militaire américaine qui n'arrivera jamais. Il y a un mouvement plus attentiste autour de Juan Guaidó, majoritaire jusqu'ici, mais cela pourrait changer, qui estime que le pouvoir lui revient de droit et que la dictature finira éventuellement par tomber. Et il y a ce nouveau pôle qui s'en détache depuis cette semaine autour de Capriles, fatigué de la stratégie de Guaidó qui n'a offert aucun résultat en deux ans.»
Le débat fait donc rage entre les différents partisans des uns et des autres, mais ce qui est certain c'est que Juan Guaidó, en perte de vitesse depuis de nombreux mois, n'est plus le symbole de l'unité qu'il a si longtemps revendiqué. L'essentiel de sa légitimité tient dans sa reconnaissance internationale. «Je suis de l'avis de Capriles, juge Diego, un jeune militant de l'opposition qui a pourtant suivi Juan Guaidó sans sourciller jusqu'ici. Si on continue d'attendre que Maduro quitte le pouvoir, rien ne va changer.» Le risque, et les partisans d'Henrique Capriles en sont conscients, c'est de perdre les élections, soit à cause de l'abstention des autres partisans de l'opposition, soit à cause d'une éventuelle fraude électorale du camp Maduro. «Ça passe ou ça casse, concède Diego. Mais j'en ai marre de voir mon pays sombrer dans la misère sans rien faire.»