Bouton Lire dans l'app Lire dans l'app
Etats-Unis

A Kenosha, Biden se pose en consoleur de la nation

Deux jours après la visite de Donald Trump, le démocrate s'est rendu dans le Wisconsin, jeudi, pour panser les plaies d'une ville meurtrie par un nouvel épisode de violences policières et l'attaque d'un militant d'extrême droite. L'occasion pour Joe Biden d'envoyer des signaux aux minorités et de relancer sa campagne dans un Etat décisif pour l'élection de novembre.
Le candidat démocrate Joe Biden, à l'église Grace Lutheran, à Kenosha, le 3 septembre. (KEVIN LAMARQUE/Photo Kevin Lamarque. Reuters)
publié le 4 septembre 2020 à 7h15
(mis à jour le 4 septembre 2020 à 9h15)

Alors que Donald Trump multiplie les meetings politiques sans se soucier du coronavirus, la lancinante campagne virtuelle de son rival Joe Biden ne pouvait plus durer. Deux jours seulement après la visite du Président à Kenosha, le candidat démocrate s’est rendu à son tour, le 3 septembre, dans cette ville du Wisconsin meurtrie par une semaine de deuil et de violences.

Après la scène terrible du 23 août et les 7 balles tirées à bout portant par un policier dans le dos de Jacob Blake, un homme noir qu’il tentait d’interpeller ; puis après la mort de deux manifestants, abattus 48 heures plus tard dans la même ville par un milicien d’extrême droite âgé de 17 ans, Joe Biden devait se risquer dans un nouveau champ de bataille politique et racial de l’ère Trump, et présenter son alternative, humaine, sociale et consensuelle aux harangues sécuritaires insensibles de son adversaire. Mais l’exercice est difficile.

«Je croyais pouvoir vaincre la haine»

Biden, qui la veille, lors d’un discours à Pittsburgh, en Pennsylvanie, condamnait, sur un ferme ton de présidentiable, les déprédations et les pillages, a tenu, une fois arrivé à Kenosha, à prouver sa compassion et ses qualités de rassembleur et de «consoleur en chef», en tentant d’éviter à tout prix de paraître exploiter la situation pour sa campagne.

Au contraire de Donald Trump, qui n’a même pas prononcé le nom de Jacob Blake lors de sa visite, Biden a, lui, rencontré sa famille dès sa descente d’avion et même poussé l’engagement jusqu’à téléphoner à la victime, paralysée et toujours en soins intensifs à l’hôpital. Alors que le président s’est contenté d’une réunion avec la police locale, et d’une tournée des ruines de commerces incendiés pendant les émeutes, Biden a longuement dialogué avec des représentants noirs et latinos de Kenosha, qui se sont exprimés sur le sort des minorités, sur les préjugés et la discrimination de la police à leur égard, le manque d’opportunités, d’emplois et de moyen pour l’enseignement public.

En réponse, le candidat n'a pas manqué de stigmatiser la tactique de division menée par Donald Trump, rappelant la mansuétude de ce dernier envers les manifestants néonazis de Charlottesville en août 2017. «Je me suis trompé, a dit Biden. Je croyais pouvoir vaincre la haine. Mais la haine se contente de se dissimuler. Et lorsqu'un personnage détenteur de l'autorité insuffle de l'oxygène sous cette pierre, il offre une légitimité à ses gens.» Son propos s'accompagnait d'une claire reconnaissance et condamnation du «racisme systémique, qui est institutionnalisé aux Etats-Unis», et «du péché originel de l'esclavage, qui entache ce pays depuis 400 ans».

«Je sais que les choses peuvent changer»

Le démocrate s'est avant tout démarqué de son rival en prônant une vision optimiste, face au discours apocalyptique de défense de la loi et de l'ordre de Trump. Biden a ainsi rappelé, avec émotion, les émeutes survenues dans sa ville de Wilmington, dans le Delaware, après l'assassinat de Martin Luther King en 1968, et la réconciliation entre Noirs et blancs qui a suivi. «Je sais que les choses peuvent changer», a-t-il martelé.

Sa visite n’était pourtant pas dénuée de considérations électorales, dans un Etat clé, le >Wisconsin, qu’Hillary Clinton avait perdu de 23 000 voix en 2016 faute de lui avoir accordé une attention suffisante. Au moment où sa campagne investit 45 millions de dollars dans une série de spots destinés aux électeurs noirs de 8 Etats décisifs, Biden, qui devance toujours Trump dans les intentions de vote, espère doper la participation électorale des minorités en novembre, en dissipant le souvenir de sa carrière de sénateur influent, toujours marquée, aux yeux des associations antiracistes les plus virulentes, par son rôle essentiel dans le vote au Congrès, en 1995, des impitoyables lois anti-crimes de Bill Clinton.

Biden, en condamnant par ailleurs fermement les émeutes, en s'opposant, quoi qu'en dise Trump, au mot d'ordre de Black Lives Matter de couper le financement de la police, prend aussi en considération les craintes de l'électorat blanc le moins éduqué, et des centristes middle-class des banlieues résidentielles, bombardés de messages anxiogènes par Donald Trump, qui axe sa stratégie sur la promesse d'un chaos sanglant sous une présidence Biden, en prenant pour exemple des villes comme Portland, Minneapolis, Chicago ou New York, prétendument livrés aux «anarchistes, aux émeutiers et aux terroristes» par le laxisme de leurs dirigeants démocrates. Répondant à la dernière menace de Trump de couper les fonds fédéraux à ces villes, Andrew Cuomo, gouverneur de l'Etat de New York, a conseillé au Président de «s'entourer de centaines de gardes du corps» s'il se risquait à revenir à Manhattan. Au même moment, Joe Biden, à Kenosha, tentait, lui, de ramener un semblant de nuances dans les très brutales présidentielles américaines.