Les geôliers l'appelaient la «pièce technique». C'était une chambre de torture. «Dedans, les interrogateurs m'ont lié les mains derrière le dos, m'ont plié les genoux et ont attaché mes pieds dans mon dos. Ensuite, ils ont attaché mes mains et mes pieds ensemble, ont passé une barre au milieu et m'ont suspendu comme ça, à l'horizontal, pendant un long moment. Tout le poids de mon corps reposait sur mes mains et mes pieds. La douleur était atroce. […] Je ne sais pas si je me suis endormi ou si j'ai perdu connaissance à cause de la douleur.» La personne qui raconte anonymement est un ou une Iranien·ne. Son témoignage figure dans le rapport publié par Amnesty International mercredi, sur la répression féroce du mouvement de protestation de novembre 2019, en Iran.
Une importante hausse du prix du carburant avait provoqué des manifestations un peu partout dans le pays. Ebranlée par ce soulèvement soudain, violent et populaire, la République islamique l'a violemment écrasé, à huis clos.
Après plusieurs mois d'enquête et des entretiens avec 66 personnes dans le pays et dix à l'étranger, l'ONG met au jour de «graves violations des droits humains, notamment des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de tortures et des mauvais traitements, et des entorses flagrantes au droit à un procès équitable».
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Selon les estimations officielles les plus basses, 7 000 personnes ont été arrêtées lors de ces troubles. Ce chiffre, donné juste après la fin des manifestations par le député Hossein Naghavi Hosseini, est certainement sous-estimé. Amnesty a ainsi obtenu un document judiciaire, daté du 20 janvier 2020, faisant état de plus de 1 000 arrestations pour la seule ville de Behbahan, dans la province de Khuzestan, qui compte 120 000 habitants. Une très grande majorité a été relâchée faute d’éléments à charge, mais 124 personnes ont été poursuivies et 37 étaient déjà renvoyés devant un tribunal.
Coups de fouet
Au total, l'ONG a pu identifier plus de 500 personnes visées par la justice pour leur participation aux manifestations de novembre. Au moins trois ont été condamnés à mort, à l'issue d'«un procès extrêmement inéquitable». L'imminence de leur exécution, en juillet, avait provoqué un vaste mouvement de soutien sur Internet et les autorités judiciaires ont finalement accepté qu'ils soient rejugés.
Au moins une dizaine de manifestants ont été condamnés à des coups de fouet, châtiment infligé à au moins deux d'entre eux, d'après les informations d'Amnesty. Tous ces chiffres sont certainement beaucoup plus élevés, précise l'ONG, mais l'accès à l'information manque : l'organisation n'est pas autorisée à travailler en Iran et les victimes, ainsi que leur famille, sont intimidées par le «climat de peur créé par les autorités».
Outre le tunnel judiciaire parsemé d'irrégularités, Amnesty pointe les graves violations intervenant en amont. Une personne blessée par balle lors d'une manifestation à Karaj, près de Téhéran, a été arrêtée à la sortie de l'hôpital et n'a pas pu recevoir de soins pendant sa captivité ; deux frères sont toujours portés disparus, ils avaient été atteints par des tirs lors du massacre de Mahshahr (entre 40 et 100 personnes ont été tuées par les forces de sécurité dans cette ville moyenne de l'ouest du pays), leur famille ignore s'ils sont vivants et où se trouvent leurs éventuelles dépouilles. Une autre personne n'est pas réapparue depuis qu'elle s'est rendue à la police en janvier, à Arak. Elle était recherchée par les forces de sécurité, qui avaient arrêté des membres de sa famille pour faire pression.
«Chicken kebab» et viols
Et puis il y a la torture. Pour «punir, intimider et humilier» et pour «arracher des déclarations auto-incriminantes et des "confessions"», parfois diffusées à la télévision d'Etat. Des victimes ont décrit les sévices : coups de pied, de poing, de bâton, de fouet, décharges électriques notamment sur les parties génitales, waterboarding ou encore positions de stress comme le «chicken kebab»; qui consiste à suspendre quelqu'un, les membres liés dans le dos.
«La pression et la douleur étaient telles que je me suis uriné dessus… Ma famille sait que j'ai été torturé, mais elle ne sait pas comment j'ai été torturé», a dit l'un des rescapés à l'ONG.
Les gardes, qui semblent relever soit du ministère des Renseignements, soit des pasdarans – l'armée parallèle ne répondant qu'au Guide suprême – usaient aussi de violences sexuelles. Des cas de viols ont été rapportés par un prisonnier passé dans un centre de détention secret de Mashhad, la grande ville de l'est du pays, mais Amnesty n'a pu recueillir aucun témoignage direct de victime, «étant donné les barrières psychologiques, sociales, légales et institutionnelles pour signaler des viols, et les graves craintes de représailles». L'organisation de défense des droits humains a écrit au président Hassan Rohani et au chef du pouvoir judiciaire, Ebrahim Raïssi, pour leur faire part de ses préoccupations. Aucun n'a répondu.