A Beyrouth, l’espoir suscité lors de la première visite d’Emmanuel Macron a disparu. Dès le 6 août, le président de la République s’était rendu sur place et avait promis de revenir. Trois semaines après les acclamations du chef de l’Etat français, les Libanais l’ont bien compris : il faudra plus que des paroles aux accents musclés à l’endroit des responsables politiques libanais pour changer le système. Reçu en héros par une foule encore sous le choc d’une double explosion, Macron avait alors écouté et répondu à la colère d’une rue qui demandait un changement complet de la classe politique au pouvoir depuis trois décennies.
Dans une ville qui continue de panser ses plaies, qui répare des fenêtres et des portes soufflées par une déflagration inouïe, qui désencombre des gravats, l'optimisme d'un possible renouveau semble avoir disparu. Certes, des associations et autres volontaires s'organisent pour participer à la reconstruction, mais de nombreux jeunes ont déjà quitté le pays tandis que des milliers d'autres y pensent également. C'est le cas d'Elie, qui attend qu'un pays lui offre «à [lui] et à [sa] famille une résidence permanente». «Toute ma vie, je n'ai vu que des guerres et des échecs économiques ici, et je ne veux pas que mes enfants en souffrent autant».
Pour Rima Tarabay, professeure de géographie à Paris-IV-Sorbonne et autrice d'une thèse sur le Liban, la visite du président français n'aura pas d'impact réel sur les politiques libanais. La solution viendra des citoyens. «Je pense que c'est aux Libanais de prendre leur destin en main. L'heure ne semble pas encore avoir sonné, malgré un mouvement contestataire important appelé "révolution" qui a débuté le 17 octobre 2019. C'était la première fois qu'on parlait de corruption liée au système confessionnel.» Cette «révolution» exigeait la fin dudit système, instauré par la France lors de la création du Grand Liban en 1920, qui fête son centenaire. «Les politiques aujourd'hui au pouvoir, voire ceux dans l'opposition, tirent leur légitimité de cette représentation confessionnelle. Tous sans exception. Donc personne ne veut changer et c'est le Liban et les Libanais qui en paient les conséquences», poursuit la professeure.
Oligarchie
«Emmanuel Macron garde encore espoir dans le système politique actuel, il n'est pas aussi dur que le souhaite la société civile. Si le pacte politique [entre la France et le Liban] n'inclut pas un nouveau système et des élections anticipées, il est inutile», ajoute Rawad Taha, un manifestant chevronné. C'est le départ de toute une oligarchie politique que souhaitent les manifestants, à travers le slogan «Tous, mais vraiment tous». Et l'idée que le président français rencontre ces mêmes responsables ne passe pas auprès d'une partie de la population. «Il le sait ! Nous avons besoin d'un changement radical et non pas d'un simple recyclage de la classe politique», commente Mokhtar Ghazzawi, patron de restaurant. Sur les réseaux sociaux, les messages à l'adresse d'Emmanuel Macron pleuvent, des Libanais lui demandant de ne pas croire ni rencontrer des personnes au pouvoir qu'ils considèrent comme illégitimes.
Quelques voix optimistes s'élèvent tout de même, avec l'espoir que le chef de l'Etat français tapera du poing sur la table et obligera les dirigeants libanais à changer. A l'image de Pierre Issa, secrétaire générale du Bloc national, parti d'opposition laïc et citoyen. Il fait partie des figures politiques issues de la société civile qui ont rencontré le président français lors de sa première visite. Il veut croire que «Macron peut faire la différence entre les partis au pouvoir et les véritables partis d'opposition. Sa place est influente dans le monde, il peut imposer des sanctions car les hommes libanais au pouvoir sont des criminels avérés. Macron pourrait par exemple geler leurs avoirs bancaires !»
Colère
D'autres se disent plus pragmatiques. C'est le cas de Joey Ayoub, Libanais de la diaspora qui réside à Genève. Ce militant, une référence sur les réseaux sociaux, «se bat» pour la «révolution». «Je pense que le président français a donné des devoirs au pouvoir libanais et qu'il les a faits. Il ne pouvait pas nommer un oligarque comme Premier ministre, donc il a nommé un de ses amis…» Cet «ami» se prénomme Moustapha Adib. L'ex-ambassadeur du Liban en Allemagne a été désigné in extremis lundi, juste avant qu'Emmanuel Macron n'arrive à Beyrouth. Adib a également été chef de cabinet du Premier ministre Najib Mikati, poursuivi pour enrichissement illicite.
Ainsi sa nomination, loin d’apaiser les Libanais, a ravivé la colère de la rue. Dans la foulée de l’annonce, des manifestants ont bloqué des routes, bravant le couvre-feu en vigueur. Le message est clair : la révolte populaire est plus vivante que jamais. Et elle le montrera ce mardi encore lors d’une manifestation sur la place des Martyrs, haut lieu de la contestation d’octobre.