A Gaza, voilà que le confinement généralisé s'ajoute au blocus, dans un contexte de recrudescence des tensions avec Israël. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, l'état d'urgence a été déclaré lundi soir par le Hamas, qui contrôle la bande côtière. Après la découverte de quatre cas de coronavirus parmi les membres d'une même famille vivant dans un camp de réfugiés, un couvre-feu a été instauré pour les prochaines quarante-huit heures. Mosquées, écoles, salles des fêtes, bâtiments administratifs et autres restaurants sont fermés jusqu'à nouvel ordre.
Avant cela, les cas de contamination avaient été repérés uniquement chez des Palestiniens revenant de l'étranger et rentrant au compte-gouttes dans Gaza par l'Egypte ou Israël, tous forcés à une quarantaine stricte dans des hôtels et casernes dédiés pour une durée de trois semaines. La réapparition surprise du virus dans le camp d'Al-Maghazi, où plus de 30 000 Palestiniens sont entassés sur un demi-kilomètre carré, a provoqué une onde de choc dans l'enclave, qui craint de voir son système médical, ravagé par les guerres et les privations, s'écrouler si le virus venait à s'y propager.
Un scénario catastrophe redouté depuis des mois par les ONG internationales, qui avait poussé le Hamas à prendre des mesures drastiques dès les prémices de la pandémie. Jusqu'alors, l'étanchéité du blocus israélo-égyptien combinée au zèle du mouvement islamiste avait fait ses preuves, limitant le nombre de cas de coronavirus à une petite centaine dans ces centres de quarantaine.
«Aucune guerre n’avait confiné 2 millions de Gazaouis»
Tous les accès au camp d'Al-Maghazi ont été bouclés par les hommes du Hamas, qui patrouillent dans le reste de l'enclave à bord de voitures surmontées de haut-parleurs pour contraindre les habitants à rester chez eux. Mardi, de nombreuses photos des grandes avenues de Gaza absolument vides et quadrillées par des policiers en tenue de camouflage se multipliaient sur les réseaux. La veille au soir, boulangeries et supermarchés avaient été pris d'assaut. «Aucune guerre, aucun F-16 [avion de chasse israélien, ndlr], missile ou tank n'avait jusqu'ici réussi à confiner 2 millions de Gazaouis», a noté l'ancien ministre palestinien Freih Abou Middain sur Facebook.
Le schéma de contamination de la famille est pour l'instant inexpliqué. Les autorités locales ont indiqué qu'une résidente de Gaza, qui avait obtenu un permis de sortie pour raisons médicales non liées au Covid, avait été testée positive à son arrivée à l'hôpital à Jérusalem. Ses proches restés à Gaza ont alors été dépistés à leur tour, révélant quatre cas supplémentaires. Selon un journaliste gazaoui, l'une des pistes envisagée est une contamination au poste frontière israélien d'Erez, où la famille avait accompagné la malade avant de s'en retourner dans leur camp. Le fait qu'un des malades travaille dans une supérette a décuplé les craintes de formation d'un cluster.
Enième escalade
Cette crise sanitaire naissante s'ajoute à une situation particulièrement tendue. L'armée israélienne a conduit une série de frappes nocturnes dans l'enclave pour la douzième fois en treize jours sur des postes d'observation et «infrastructures souterraines» du Hamas. Ces bombardements répondent aux tirs de roquettes sporadiques des factions en direction des kibboutz frontaliers, ainsi qu'à l'envoi de ballons incendiaires. Ces trois derniers jours, les engins expédiés par-dessus les barbelés séparant l'enclave de l'Etat hébreu ont causé une centaine de départs de feux dans les champs israéliens.
La riposte de Tsahal s'est accompagnée durant les deux dernières semaines d'un durcissement sévère du blocus, avec notamment la fermeture complète de la zone de pêche et un embargo sur le fioul qui a provoqué l'arrêt de l'unique centrale électrique de Gaza. Les habitants ont désormais moins de quatre heures de courant par jour, et même les plus aisés peinent à ravitailler leurs générateurs électriques. Avant même le début du confinement, des Gazaouis ont expliqué sur les réseaux sociaux en être réduits à laisser leurs enfants dormir à même le sol, seule façon de supporter les suffocantes chaleurs estivales sans air conditionné.
Après des mois de calme plat, tous les clignotants prédisant une énième escalade – ou un «nouveau round», comme l'écrit la presse israélienne – sont allumés, même si les factions tentent pour le moment de doser leur niveau d'agression, dans l'attente de gains financiers. Ainsi, mardi, le Jihad islamique a annoncé la mort de quatre de ses membres dans une explosion «accidentelle», dans ce qui est vraisemblablement un atelier de confection de roquettes, cherchant à éviter l'embrasement de sa base alors que l'envoyé qatari Mohammed al-Emadi, l'homme aux valises de «cash en échange du calme», est attendu ce soir dans l'enclave.
«Ligne de flottaison»
«On est là dans la chorégraphie hélas très classique du chantage à l'escalade, résume un diplomate européen à Jérusalem. Le Hamas fait monter la pression pour faire gonfler les aides qui leur permettent de garder Gaza au-dessus de la ligne de flottaison, les versements du Qatar étant désormais vus comme insuffisants puisque la pandémie a réduit à zéro les quelques sorties de travailleurs autorisés et affecté l'acheminement d'aide humanitaire.» Avec notamment la crainte que la gravissime situation économique et sociale à Gaza ne provoque de nouvelles révoltes contre le Hamas.
«De l'autre côté, Israël ne veut pas de conflit, surtout pas dans sa "séquence normalisation", poursuit ce bon connaisseur du dossier. Mais Tel-Aviv n'est toujours pas prêt à s'engager dans le volet des constructions d'infrastructures et d'extension des permis de travail en Israël promis au Hamas, dans le cadre de leur accord de trêve. Que le mouvement avait d'ailleurs scrupuleusement respecté jusque-là.»