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Coup d'état

Au Mali, les putschistes négocient les contours de la transition

Une délégation de la Cédéao a discuté trois jours durant avec les officiers qui ont renversé Ibrahim Boubacar Keïta. La sécurité du président déchu semble assurée, mais aucun accord n'a été trouvé sur la durée et la forme de la transition.
Le président de l’autoproclamé Comité national pour le salut du peuple, Assimi Goïta, dimanche après une réunion à Bamako. (STRINGER/Photo Reuters)
publié le 24 août 2020 à 18h00

Le renversement du président malien Ibrahim Boubacar Keïta s'est déroulé, il y a une semaine, avec une facilité déconcertante. Signe évident que son régime était un «fruit pourri», comme l'écrivent aujourd'hui les quotidiens bamakois. L'acte II du coup d'Etat est plus laborieux. Il s'agit désormais, pour les officiers putschistes, de clarifier leurs intentions pour l'avenir du pays. Quel délai avant de nouvelles élections ? Qui pilotera la transition ? Quel rôle joueront les militaires dans cette phase délicate ?

Ces interrogations ont plané pendant trois jours autour d'une table du ministère de la Défense à Bamako, à laquelle se sont assis les leaders de l'autoproclamé Comité national pour le salut du peuple (CNSP) – en premier lieu son président, le colonel Assimi Goïta, 37 ans, qui commandait jusqu'alors le Bataillon autonome des forces spéciales – et une délégation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao). L'organisation, qui a vertement condamné le coup d'Etat du 18 août et exigé un «retour immédiat à l'ordre constitutionnel», est devenue la médiatrice traditionnelle des crises politiques régionales. Son envoyé spécial, l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan, avait échoué le mois dernier à trouver une formule de compromis à même de sauver la présidence d'Ibrahim Boubacar Keïta, cible d'une puissante contestation populaire. Cette fois-ci, en dépit de son appel initial au rétablissement dans ses fonctions du président élu, la Cédéao le sait : «IBK» n'est plus sauvable.

«Dentifrice»

Samedi, ses représentants ont rendu visite au chef d'Etat destitué, toujours retenu au camp militaire de Kati, ville-garnison de la banlieue de Bamako. «Il va bien», a sobrement commenté Goodluck Jonathan. Les putschistes sont mêmes prêts à le laisser rentrer dans sa maison familiale prochainement, puisqu'il a démissionné de toutes ses fonctions et «n'a pas l'intention de revenir aux affaires», selon le Nigérian. «Pour la Cédéao, le respect de l'ordre constitutionnel est à la fois une question de principes et une stratégie pour éviter que le cas malien ne fasse jurisprudence, juge Boubacar Sangaré, chercheur à l'Institut d'études de sécurité. La présidence IBK est terminée, on ne peut pas remettre le dentifrice dans le tube.»

Les négociations en cours portaient donc avant tout sur la phase de transition. Un premier test pour le CNSP. Comment s'assurer que les militaires ne comptent pas confisquer le pouvoir ? Dans la nuit de dimanche, l'Agence France Presse, citant une source de la Cédéao, a indiqué que la junte «souhaite une transition de trois ans pour revoir les fondements de l'Etat malien […] dirigée par un organe présidé par un militaire, qui sera en même temps chef de l'Etat». Une proposition maximaliste, à rebours des précédentes déclarations des putschistes, démentie avec empressement dès le lendemain matin par le porte-parole du CNSP, Ismaël Wagué : «Aucune décision relative à la transition ne sera prise sans une consultation massive des Maliens, des partis politiques, des groupes sociaux, des syndicats», a-t-il affirmé.

«Marge de manœuvre»

«Les officiers du CNSP ne peuvent rien faire sans la classe politique et la société civile, estime un ancien député de la majorité présidentielle. Ils ont profité de la situation. Leur coup d'Etat a été acclamé car il a été présenté comme l'aboutissement de la contestation : ils ont besoin d'un soutien populaire.» Or le maintien des militaires à la tête de l'Etat rappellerait certainement des mauvais souvenirs au Mali, dirigé d'une main de fer entre 1968 et 1991 par le général dictateur Moussa Traoré. «La conduite civile de la transition nous semble être un élément essentiel, indique une source diplomatique à la présidence française. Une empreinte militaire trop forte n'est pas acceptable. Sur ce plan, nos messages convergent avec ceux de la Cédéao.»

La durée de la transition, en revanche, semble négociable. «Les trois ans [durée de la fin théorique du mandat d'IBK, ndlr] ne sont pas possibles, mais il faut bien convenir qu'un délai de six mois pour aller aux élections est irréaliste, poursuit notre source élyséenne. Entre les deux, il y a une marge de manœuvre…» Même si, pour l'instant, Paris n'a noté «aucun indice de flottement dans l'engagement de l'armée malienne dans la lutte antiterroriste», la paralysie du gouvernement risque de provoquer un «délitement progressif» de la présence de l'Etat – si difficile à préserver – dans les zones touchées par l'insurrection jihadiste. L'ampleur du chantier institutionnel plaide cependant pour une transition d'au moins un an, selon le chercheur Boubacar Sangaré : «La transition devra se concentrer sur quelques priorités, notamment la révision de la Constitution, la refonte du système électoral et la réforme du secteur de la sécurité afin de jeter les bases du renouveau dans la gouvernance au Mali. Cela ne sert à rien de se précipiter vers un scrutin qui aura pour seul résultat de conduire à un nouveau blocage ou une sortie de route dans quelques années.»

La semaine dernière, les dirigeants de la Cédéao avaient choisi d’imposer des sanctions au Mali, notamment la fermeture des frontières de ses Etats membres. Ils doivent à nouveau se concerter mercredi pour décider de renforcer ou d’alléger ces mesures. Goodluck Jonathan repart de Bamako lundi soir sans qu’un accord ait été trouvé avec les putschistes. La décision de la Cédéao reposera donc sur les mots et les promesses échangés ces dernières heures derrière les murs jaunis du ministère de la Défense.

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