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Corruption

Etats-Unis : Steve Bannon inculpé pour détournement de fonds

L'ex-directeur de campagne et conseiller stratégique de Donald Trump a été arrêté et inculpé ce jeudi pour fraude et blanchiment d'argent. Il aurait détourné des dons destinés à construire un mur avec le Mexique.
Steve Bannon, en août 2018. (J. Scott Applewhite/Photo J. Scott Applewhite. AP)
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publié le 20 août 2020 à 17h46
(mis à jour le 20 août 2020 à 19h46)

«Les ténèbres, c'est bien, disait Steve Bannon en novembre 2016, peu après l'élection de Donald Trump. Dick Cheney, Dark Vador, Satan. C'est ça, le pouvoir.» Du pouvoir, l'ancien idéologue, directeur de campagne puis conseiller stratégique de Trump n'en avait plus beaucoup depuis son départ contraint de la Maison blanche, à l'été 2017. Les ténèbres, en revanche, lui tendent plus que jamais les bras : Steve Bannon a été arrêté ce jeudi dans une affaire de détournement de fonds. Inculpé de deux chefs d'accusation – fraude et blanchiment d'argent – passibles chacun de vingt ans de détention, il a plaidé non coupable et a été libéré contre une caution fixée à 5 millions de dollars.

Selon l'acte d'accusation rendu public par le procureur fédéral de Manhattan, Bannon, 66 ans, est accusé, avec trois autres personnes, d'avoir «orchestré un stratagème pour escroquer des centaines de milliers de donateurs» qui ont contribué à la campagne de financement en ligne baptisée «We Build the Wall», destinée à financer la construction d'un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, promesse emblématique de la campagne Trump en 2016.

Travaux, bateau et voyages

Mise sur pied en décembre 2018 par Brian Kolfage, vétéran de l'US Air Force ayant perdu deux jambes et le bras droit en Irak en 2004, également inculpé jeudi, cette campagne avait levé 17 millions de dollars (14 millions d'euros) dès sa première semaine, avant d'être rapidement suspendue par le site de financement participatif, qui doutait de sa légitimité. Pour obtenir le déblocage des fonds, Kolfage avait alors, détaille l'acte d'accusation, fait appel à Steve Bannon et à Andrew Badolato, un homme d'affaires et investisseur basé en Floride, qui prennent aussitôt «un contrôle important de l'organisation de la campagne de levée de fonds».

Dès décembre 2018, assurent les procureurs, les détournements ont débuté. Alors qu’ils garantissaient aux donateurs que tout l’argent levé servirait à construire un mur, et que les organisateurs ne toucheraient pas un centime, Steve Bannon et les autres responsables détournaient en fait une partie des fonds par l’intermédiaire d’une organisation à but non lucratif et d’une société écran.

Au total, entre décembre 2018 et octobre 2019, date à laquelle les accusés ont appris que We Build the Wall faisait l'objet d'une enquête criminelle, environ 25 millions de dollars ont été récoltés auprès d'un demi-million de donateurs. Le fondateur de la campagne, Brian Kolfage, 38 ans, est accusé d'avoir détourné 350 000 dollars utilisés pour ses «dépenses personnelles», incluant des travaux de rénovation dans sa maison, l'achat d'un bateau ou d'un SUV de luxe. Steve Bannon et les deux autres accusés auraient quant à eux reçu chacun «des centaines de milliers de dollars» utilisés pour financer «voyages, hôtels, biens de consommation et dépenses de cartes de crédit».

Trump prend ses distances

Ancien directeur du site ultraconservateur Breitbart News, lieu de rassemblement de toutes les franges de l'alt-right américaine (nationalistes, masculinistes, complotistes, xénophobes…) qu'il avait été contraint de quitter en janvier 2018, Steve Bannon vit donc une nouvelle étape dans sa chute. Lui qui, aux débuts de la présidence Trump, jouissait d'un accès libre au Bureau ovale et à son occupant. Deux mois après son départ de Breitbart, Steve Bannon avait été invité par Marine Le Pen au congrès refondateur du Front national. Mais son incursion dans les populismes du Vieux Continent, avec le désir de peser sur les élections européennes de mai 2019 via son organisation The Movement, s'était soldée par un bide. La faute à son ignorance des dynamiques européennes.

«Je ne connais rien de ce projet», s'est empressé jeudi de déclarer Trump depuis la Maison blanche, ajoutant qu'il n'avait «pas eu de contact avec [Steve Bannon] depuis très longtemps». Sauf qu'une vidéo circulant sur les réseaux sociaux montre l'un des fils du président, Donald Trump Jr., chanter les louanges de We Build the Wall à l'été 2019, lors d'une visite au Nouveau-Mexique : «C'est le secteur privé dans toute sa splendeur. [Construire ce mur] mieux, plus vite et moins cher.» Et que plusieurs personnalités gravitant autour du Président ou de sa famille sont impliquées dans le projet, dont l'ancien secrétaire d'Etat du Kansas, Kris Kobach et Erik Prince, fondateur de la sulfureuse société de sécurité privée Blackwater, qui siègent tous deux au conseil consultatif de We Build the Wall. En 2019, Kobach assurait même publiquement que Trump approuvait le projet.

L'arrestation et l'inculpation de Steve Bannon constituent un énième rebondissement judiciaire autour d'une présidence gangrenée depuis ses débuts par les affaires, les mensonges et les condamnations. «Les escrocs s'entourent d'escrocs», a taclé sur Twitter l'élu démocrate du Wisconsin, Mark Pocan. Dans le cadre notamment de l'enquête Mueller sur l'ingérence russe dans la présidentielle de 2016, mais pas seulement, de nombreux associés de Donald Trump ont été inculpés et condamnés, dont son ex-directeur de campagne Paul Manafort, son ancien avocat personnel, Michael Cohen, son premier conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, ou son conseiller de longue date Roger Stone.

Condamné pour avoir menti au Congrès et intimidé des témoins, Roger Stone a été gracié le mois dernier par Trump, qui lui a évité quarante mois de prison. En vertu de la loi américaine, le président peut gracier un accusé y compris, s’il le décide, avant la fin de l’enquête et une éventuelle condamnation. Le président le fera-t-il pour Steve Bannon, son ancien conseiller tombé en disgrâce ? Cela dépend sans doute en grande partie de ce que Bannon sait sur Trump… et pourrait fournir aux enquêteurs en échange d’une remise de peine.