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Vu des Etats-Unis

A la convention démocrate, Biden investi, les progressistes mis de côté

L'ancien vice-président a officiellement été désigné candidat pour l'élection présidentielle du 3 novembre par son parti. En l'absence des élus de la frange gauche, dont la représentante Alexandria Ocasio-Cortez n'a eu le droit qu'à une minute de temps de parole.
Alexandria Ocasio-Cortez s'adresse à la convention nationale démocrate virtuelle, le 18 août. (BRIAN SNYDER/Photo Brian Snyder. Reuters)
publié le 19 août 2020 à 7h33
(mis à jour le 19 août 2020 à 9h33)

Le format inédit de la convention démocrate, entièrement virtuelle pour cause de pandémie de coronavirus, a au moins permis un roll call dépaysant. Depuis Guam ou Porto Rico, du Montana à la Pennsylvanie, les délégations des 57 Etats et territoires américains, comme autant de cartes postales, ont officiellement investi mardi soir Joe Biden, 77 ans, candidat du parti démocrate pour affronter Donald Trump lors de la présidentielle du 3 novembre. Cette deuxième soirée de convention a également été l'occasion de mettre en lumière la peut-être future first-lady, Jill Biden, de donner la parole à des anciens présidents (Carter, Clinton) et à des prises de guerre du camp républicain, venues apporter leur soutien au candidat démocrate (la veuve du sénateur John McCain, le secrétaire d'Etat de George W. Bush, Colin Powell).

A bien y regarder, pourtant, la soirée a cruellement manqué de représentants de l'aile progressiste du parti. D'incarnation de cette jeunesse qui a porté la candidature de l'ex-rival de Biden, Bernie Sanders (qui a eu droit à un discours la veille), et donné un nouveau souffle au parti. De ces nouveaux élus qui ont permis de ravir la Chambre des représentants aux Républicains, en 2018. De ces candidats aux programmes de gauche et nouveaux venus en politique, qui ont dégagé cette année des tenants de l'establishment lors de primaires contestées, à l'instar du principal de collège Jamaal Bowman à New York, ou de l'infirmière Cori Bush dans le Missouri.

Le parti démocrate avait d’ailleurs choisi de transformer sa traditionnelle «keynote address», qui permet d’habitude de mettre sur l’estrade une star montante du parti (c’est ainsi que le pays avait, par exemple, découvert Barack Obama lors de la convention de 2004 à Boston), en une succession de courts messages vidéo d’élus peu identifiés sur la scène nationale, qui avaient pour point commun d’avoir tous apporté leur soutien à Biden tôt dans la campagne (exceptée la candidate malheureuse au poste de gouverneur de Géorgie lors des élections de 2018, Stacey Abrams).

Une minute pour «the Squad»

Absence plus remarquée encore : les visages de «the Squad», ce quatuor de jeunes élues du Congrès issues des minorités, adorées par les progressistes, honnies des conservateurs et omniprésentes politiquement et médiatiquement depuis leur arrivée à la Chambre en 2019. Hormis l'élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez («AOC»), qui n'a eu droit qu'à une toute petite minute, pour introduire la candidature de Bernie Sanders, ancien rival de Biden dans la course à la nomination. Le sénateur du Vermont avait en effet obtenu suffisamment de délégués au cours des primaires pour figurer dans le vote final de la convention, purement procédural. Ocasio-Cortez, comme Sanders, ont appelé leurs soutiens, sans ambiguïté, à voter pour Joe Biden.

L'annonce de ce très court temps de parole dévolu à l'une des figures les plus en vue du parti, et les plus talentueuses, a ulcéré de nombreux progressistes sur les réseaux sociaux, qui ont dénoncé des démocrates se «sabotant eux-mêmes». «Si j'étais Tom Perez [le président du Comité national démocrate, ndlr], je couperais Bill Clinton du programme et allouerais deux minutes de son temps à AOC», a tweeté l'ancienne conseillère de Bernie Sanders, Winnie Wong, qui a également regretté l'absence au programme de Julián Castro, premier candidat latino à se présenter aux primaires démocrates. En réponse à l'annonce de sa minute de parole il y a une semaine, Ocasio-Cortez s'était contentée de tweeter un poème de Benjamin E. Mays, qu'avait récité l'élu afro-américain Elijah Cummings, figure des droits civiques mort l'an dernier, lors de sa première allocution à la Chambre des représentants, en 1996: «Seulement une toute petite minute, mais l'éternité est dedans.»

Dans sa vidéo préenregistrée, Ocasio-Cortez a fait référence aux multiples crises auxquelles les Américains font face – le coronavirus, qui a fait plus de 170 000 morts aux Etats-Unis, la récession économique, la vague historique de colère contre le racisme et les violences policières –, dénoncé «la brutalité d'une économie qui récompense les exponentielles inégalités de richesse», et appelé à des «solutions profondes et systémiques pour répondre aux expulsions de masse, au chômage, à l'absence de protection santé».

La main vers l'électorat centriste

Avec ses talents d’interrogatrice sans concession à la Chambre des représentants, ou sa capacité à populariser le Green New Deal et l’assurance santé universelle, AOC, 30 ans, est aujourd’hui incontournable dans le paysage politique américain. Lors des élections de 2018, personne n’avait parié sur sa victoire, tant son opposant, le vieux baron démocrate Joseph Crowley, semblait indéboulonnable. Le résultat de cette primaire avait alors sonné comme un avertissement pour les élites démocrates, sur l’impatience de la frange gauche de l’électorat et son envie de politiques nettement plus progressistes.

Si l’on s’en tient au programme de la convention, le parti semble déjà avoir oublié la leçon. D’autant qu’AOC, comme les autres membres du quatuor, Ilhan Omar (Minnesota), Rashida Tlaib (Michigan) et Ayanna Presley (Massachusetts) ont à nouveau remporté leur primaire cette année, et sont quasiment assurées, par leurs circonscriptions démocrates, de rempiler pour un second mandat à la Chambre.

En mettant en avant la vieille garde du parti, et des figures républicaines, le parti démocrate tente visiblement de tendre la main à l'électorat centriste, aux indépendants et aux Républicains modérés, sans chercher à ménager son flanc gauche. Selon la presse américaine, le parti craignait de trop exposer ces figures et ainsi donner du grain à moudre à la campagne de Donald Trump. C'est raté : «Joe Biden est la marionnette de la gauche radicale, qui cherche à éliminer complètement les frontières des Etats-Unis, a menacé le président, en déplacement dans l'Arizona mardi, reprenant son couplet habituel pour mobiliser l'électorat conservateur. Cela va au-delà du socialisme. Mais nous n'aurons jamais un pays socialiste !»