Bouton Lire dans l'app Lire dans l'app
Verdict

Attentat contre Rafic Hariri au Liban : «Tout ça pour ça !»

Quinze ans après l'attentat contre le Premier ministre libanais, le Tribunal spécial international pour le Liban a déclaré coupable d'homicide un seul des quatre accusés, écartant toute implication directe du Hezbollah ou du régime syrien.
Les juges du Tribunal spécial pour le Liban annoncent leur jugement dans l'affaire de l'attentat qui a coûté la vie au Premier ministre Rafic Hariri en 2005, mardi à Leidschendam. (EVA PLEVIER/Photo Eva Plevier. Reuters )
par Hala Kodmani et Clotilde Bigot, correspondantes à Beyrouth
publié le 18 août 2020 à 17h06
(mis à jour le 18 août 2020 à 19h06)

Attendu comme potentiellement explosif, le verdict du Tribunal spécial international sur le Liban (TSL), rendu mardi, s’est révélé un pétard mouillé. Sur les quatre accusés jugés par contumace pour l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, le 14 février 2005, trois ont été acquittés. Aucune implication directe des dirigeants du Hezbollah ou du régime syrien dans l’attentat à la voiture piégée qui avait coûté la vie à 21 autres personnes, dans le centre de Beyrouth, n’a été retenue.

Plus de quinze ans après les faits, dont onze années d’enquête menée par le tout premier tribunal international du genre (chargé de rendre justice aux victimes de crimes de terrorisme, pour un coût d’un milliard de dollars), le verdict de 2 600 pages n’identifie ni les commanditaires, ni les exécutants de l’attaque à la voiture piégée. Nul ne saura le nom du kamikaze qui était au volant et aux commandes de la camionnette qui a explosé au passage du convoi de l’ancien Premier ministre, dans le cœur de la capitale libanaise.

Décrit par les enquêteurs comme le «cerveau» de l’opération, Moustafa Badreddine, chef militaire du Hezbollah, a été tué dans un attentat en Syrie, en 2018, et n’a donc pas été jugé. Plusieurs des suspects et témoins de l’attentat ont également disparu depuis, au cours des années d’un feuilleton politico-militaire à rebondissements, ponctué par de fausses revendications et de faux témoignages.

A l'arrivée, un seul condamné, Salim Ayyache, 56 ans, membre «présumé» du Hezbollah, a été déclaré coupable de complot en vue de commettre un «acte de terrorisme, de perpétration d'un acte de terrorisme au moyen d'explosifs et de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri avec préméditation, ainsi que de l'homicide intentionnel de 21 personnes avec préméditation», a déclaré le président du TSL, le juge David Re.

«Chèvre et chou»

«Tout ça pour ça !», résume Karim Bitar, professeur de sciences politiques à Beyrouth, à propos d'un «jugement qui ménage un peu la chèvre et le chou, qui prend soin de reconnaître qu'il y avait une motivation politique mais pas de preuve de l'implication du Hezbollah ou du régime syrien. Vu la situation actuelle au Liban, ce jugement me paraît plutôt prudent. Tant d'eau a coulé sous les ponts depuis quinze ans, les Libanais ont aujourd'hui à affronter une crise économique et les conséquences des explosions au port de Beyrouth», observe le politologue.

Alors que les opposants au Hezbollah s'attendaient à un verdict accablant davantage le mouvement chiite, déjà considéré comme le responsable de la présence des 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium qui ont explosé dans le port le 4 août, les habitants de Beyrouth se montraient plutôt résignés mardi après-midi. «De toute façon, au Liban, il n'y a pas de justice !», s'exclame Ali, la trentaine, chauffeur de taxi dans la capitale. «Que ce soit le Tribunal spécial pour le Liban ou alors les explosions au port, personne ne saura jamais qui est responsable.»

Personne n'attendait quoi que ce soit de ce procès dans les quartiers chiites de la capitale, chacun ayant sa propre opinion sur le décès de l'ancien Premier ministre. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, très écouté dans ces quartiers, avait déjà indiqué qu'il «ne se sentait pas concerné» par ce verdict, lors d'un discours télévisé pour les commémorations de l'Achoura, il y a quelques jours.

«Ici les gens sont fatigués, explique Hiba, 32 ans. On a autre chose en tête et puis, même Nasrallah a dit que le Tribunal spécial pour le Liban était biaisé, qu'il avait un agenda politique.» Sur les visages du quartier Ras al-Nabaa (dans le sud de Beyrouth), ni sourire de soulagement, ni énervement mais une simple résignation face à la situation actuelle. «Seul Dieu sait qui a fait ça, et Dieu le punira», explique Adib, la soixantaine, assis à l'ombre dans une ruelle.

Nouveau gouvernement

«Le tribunal a statué et, au nom de la famille de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et, au nom des familles des martyrs et victimes, nous acceptons la décision du tribunal», a déclaré Saad Hariri à des journalistes à l'issue du prononcé du jugement, devant le TSL, basé aux Pays-Bas.

Le fils du Premier ministre assassiné avait fait le voyage à l’audience à Leidschendam, près de La Haye, pour assister à la lecture du verdict. Ayant succédé trois fois à son père à la tête du gouvernement libanais au cours des dix dernières années, Saad Hariri est à nouveau pressenti pour former un éventuel gouvernement de salut national, pour sortir le Liban de la multicrise dans laquelle le pays est enfoncé.

Tag QA