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Liban

Face à la colère des Beyrouthins, la répression sans merci

Plusieurs ONG dénoncent les méthodes et les armes, notamment françaises, utilisées par les forces de l’ordre lors de la manifestation du samedi 8 août.
A Beyrouth, samedi. (Thibault Camus/Photo Thibault Camus. AP)
publié le 12 août 2020 à 17h51

Une cinquantaine de billes métalliques disséminées dans le corps d'un patient admis dans l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Beyrouth. L'image du scanner de l'homme de 23 ans a été partagée sur Twitter par un chirurgien digestif de l'établissement. «On a tiré au fusil de chasse sur les manifestants. La balle n'est pas censée pénétrer dans le corps humain à longue distance. Mais de près, elle peut provoquer une hémorragie interne», écrit-il au lendemain de la manifestation du 8 août. Ce jour-là, des milliers de personnes sont descendues sur la place des Martyrs jonchée de débris pour protester contre les autorités, qu'ils jugent responsables de l'explosion qui a ravagé la capitale et fait au moins 171 morts et 6 000 blessés.

Des blessés par centaines

Dans une enquête publiée le 11 août, Amnesty International, qui a suivi la journée de mobilisation, dénonce l'usage de la force «de manière brutale et illégale» par les militaires et les policiers pour réprimer les manifestants. «Les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des balles de fusils à pompe sans discernement sur la foule», écrit l'ONG, qui se base sur les témoignages de victimes, témoins oculaires et médecins. Une information confirmée par Human Rights Watch (HRW) : «Alors qu'un petit nombre de protestataires ont lancé des pierres et des débris sur les forces de sécurité, les effets nocifs des gaz lacrymogènes ont atteint des manifestants pacifiques», lit-on dans le communiqué. L'armée et les forces de sécurité ont nié toute responsabilité dans la répression.

L'organisation dénombre au moins 738 blessés alors que plus de la moitié des hôpitaux de la capitale sont «hors service», selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Sept manifestants victimes de lésions oculaires occasionnées par des billes métalliques ont été opérés d'urgence samedi au département d'ophtalmologie de l'université américaine de Beyrouth. L'un a perdu son œil. Une situation sans précédent, selon le chef du service : «Même lors des énormes manifestations d'octobre, nous n'avons pas eu autant de patients admis dans notre service», assure Noureddine Bahaa. A l'époque, une campagne virale intitulée «Arrêtez de viser les yeux» avait été lancée par des Libanais en solidarité avec les manifestants blessés.

Des gaz lacrymo «made in France»

Alors qu'Emmanuel Macron a appelé les autorités libanaises à «répondre aux aspirations que le peuple libanais exprime légitimement dans les rues», plusieurs ONG et membres de la société civile ont constaté l'utilisation de grenades lacrymogènes vendues par des entreprises françaises. «Amnesty International a identifié des lanceurs et des grenades MP7 de Nobel Sport, des grenades SM6 de SAE Alsetex et des lanceurs d'Alsetex, fabriqués en France», relève l'ONG. Interrogée par le service CheckNews de Libération, la chargée de campagne d'Amnesty International au Liban, Diala Haidar, a assuré que les gaz lacrymogènes ont été «tirés directement sur les manifestants et à courte distance, ce qui indique qu'ils étaient utilisés dans l'intention de blesser». «Nous avons identifié des armes datant de 2015 et 2020, ce qui signifie que les ventes d'armes se poursuivent», explique Richard Weir, membre de HRW. Le chercheur, qui a participé à la fouille de débris, précise qu'il n'a constaté que des grenades lacrymogènes «made in France». Contacté par Libération, le ministère de l'Intérieur n'a pas encore réagi.

Des journalistes pris pour cibles

La répression vise aussi les professionnels de l'information. Pour la seule journée du 8 août, au moins 14 journalistes, photographes et techniciens ont été blessés alors qu'ils couvraient les manifestations, d'après un rapport de Skeyes, un groupe de liberté de la presse basé à Beyrouth. Au moins une membre d'ONG a également été prise à partie : «Tout à coup, l'armée a commencé à battre les manifestants. Pendant que je filmais, l'armée m'a frappée et a jeté mon téléphone», a tweeté Aya Majzoub, chercheuse à HRW. Aujourd'hui, les Beyrouthins ont le cœur lourd : la réputation libre et démocratique du Liban est mise à mal.

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