«Khaled ne dormira pas en prison ce soir !» avançaient sur Twitter lundi matin plusieurs amis du journaliste algérien Khaled Drareni, comme pour forcer la chance ou préserver l'espoir peu avant la première comparution devant un tribunal d'Alger. «127 nuits pour avoir exercé sa profession de journaliste. 127 nuits d'injustice et de détention abusive», rappelait dans un tweet un des soutiens du reporter détenu depuis fin mars. Dans l'après-midi, quatre ans de prison ferme ont été requis à son encontre par le procureur.
Accusé «d'incitation à un attroupement non armé et d'atteinte à l'intégrité du territoire national» après avoir couvert les manifestations du Hirak, le soulèvement populaire qui a secoué l'Algérie pendant plus d'un an, Khaled Drareni, 40 ans, semble surtout coupable de sa notoriété internationale aux yeux des autorités algériennes. Directeur du site d'information en ligne Casbah Tribune mais aussi correspondant de la chaîne de télévision francophone TV5 Monde et de Reporters sans frontières (RSF) en Algérie, il est devenu le symbole du combat pour la liberté de la presse dans son pays.
Les défenseurs du journaliste avaient fait monter la pression ces derniers jours avec la création d'un comité de soutien international à Khaled Drareni rassemblant des organisations et des personnalités maghrébines, africaines et européennes intervenant pour la liberté de la presse. «Il faut libérer Khaled Drareni, par fidélité aux idéaux de l'indépendance algérienne», ont lancé Pierre Audin, fils du militant pour l'indépendance de l'Algérie Maurice Audin, et le secrétaire général de RSF Christophe Deloire dans une tribune publiée jeudi dans le Monde.
Rappelant la répression de la presse par les autorités françaises pendant la guerre d'Algérie, ils appelaient à la libération de Drareni à la veille de l'ouverture de son procès au nom «des idéaux de tous ceux qui avaient dû lutter pour leur liberté et mis leur vie en danger face au colonialisme».
«Compliqué»
Ils espéraient ainsi avoir une écoute au moment où les présidents Macron et Tebboune veulent ouvrir un dialogue sur le contentieux mémoriel qui empoisonne la relation franco-algérienne depuis l'indépendance. «Stratégiquement, c'est compliqué avec les autorités algériennes, admet Christophe Deloire, Secrétaire général de RSF. On veut garder une attitude de non-provocation et d'ouverture au dialogue tout en restant ferme sur la détention abusive de Khaled et l'exigence de sa libération. On essaie de négocier en laissant une porte de sortie aux autorités d'Alger», ajoute-t-il.
Loin d’être le seul journaliste ou militant arrêté ou poursuivi depuis le début du Hirak en Algérie, Khaled Drerani semble victime d’un acharnement particulier de la part des autorités. Tout dernièrement encore, deux anciens correspondants locaux de France 24, arrêtés la semaine dernière, ont été libérés au bout de quarante-huit heures. Mais surtout, deux codétenus de Drareni, Slimane Hamitouche et Samir Benlarbi, figures du Hirak, jugés en même temps que lui lundi, avaient été relâchés le 5 juillet.
C'était alors le 100e jour de détention pour le journaliste dont «l'exception pose des questions», souligne l'éditorialiste Mohamad Sidoummo dans le quotidien algérien arabophone El Khabar. «Les autorités semblent avoir réservé un traitement spécial au correspondant de Reporters sans frontières, arrêté dans le même dossier que les deux militants politiques», observe de son côté le quotidien francophone Liberté.
«Museler»
«Il est certain qu'il y a un acharnement contre Khaled parce qu'il intervenait dans les médias internationaux depuis le début du Hirak, observe Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de RSF, basé à Tunis. Mais surtout parce qu'il incarne une voix de la presse libre et indépendante que le régime veut faire taire. Car l'objectif global des autorités est de museler tous les médias pour ne laisser que le discours officiel comme source d'information à la population», estime Khayati. «Le gouvernement algérien avait d'ailleurs trouvé dans l'épidémie du Covid-19 une occasion pour faire cesser les manifestations et faire taire les voix dissonantes», ajoute-t-il.
Face au risque sanitaire, Khaled Drareni avait alors eu une attitude responsable en annonçant : «Je ne suis pas un politicien ou une figure du Hirak, je suis un journaliste libre qui couvre les marches pour montrer aux Algériens et au monde cette révolution exceptionnelle. Je suspends ma couverture à compter de demain pour le bien de tous. Nous reviendrons plus forts qu'avant.» C'était le 16 mars sur Twitter, dix jours avant son arrestation.
Lundi, il est intervenu à son procès par vidéoconférence depuis sa prison, par mesure sanitaire. Il a déclaré à la juge : «Je n'ai fait que mon travail en tant que journaliste libre et indépendant, j'ai couvert toutes les manifestations liées au Hirak, même celles progouvernement. C'est mon devoir de le faire.»