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Gafa

Etats-Unis : les «empereurs» de la tech sous le feu croisé des représentants du Congrès

Les patrons de Google, Apple, Facebook et Amazon ont été auditionnés par la commission antitrust. Les démocrates leur reprochent leurs pratiques anticoncurrentielles, les républicains leur opposition à Trump.
Mark Zuckerberg en visioconférence lors d'une audition de la sous-commission judiciaire de la Chambre des représentants, mercredi. (Graeme Jennings/Photo Graeme Jennings. AP)
publié le 30 juillet 2020 à 8h30

A trois mois seulement des élections de tous les dangers, leur entente cordiale laissait rêveur. Mercredi, les élus républicains et démocrates de la Chambre des représentants, d’ordinaire à couteaux tirés, ont conclu une trêve de cinq heures, le temps de tourner leurs armes vers l’un de leurs rares ennemis communs : la «Big Tech», incarnée par Tim Cook, Sundar Pichai, Mark Zuckerberg et Jeff Bezos, patrons des quatre titans Apple, Google, Facebook et Amazon. Entendus en vidéoconférence par les membres de la commission antitrust du Congrès, ces derniers devaient répondre, face aux démocrates, de leurs pratiques anticoncurrentielles, et devant les républicains, de leur prétendue hostilité aux valeurs conservatrices et au gouvernement Trump.

Attaqués de toutes parts, par le département de la justice américain, par l'autorité de la concurrence (la fameuse Federal Trade Commission), par les procureurs de plusieurs Etats et en butte à des sanctions européennes, les fleurons des Gafa s'étaient dûment préparés à cette nouvelle offensive en forme d'un procès populaire co-orchestré par les deux camps du Congrès. Alors que Donald Trump ouvrait la séance de la Maison Blanche par un tweet promettant de restreindre le pouvoir des géants du numérique par décrets si le Congrès manquait à sa tâche, le démocrate David Cicilline, président de la sous-commission, rappelait qu'«à l'instar de nos pères fondateurs, qui ne voulaient pas s'incliner devant un roi, nous ne nous inclinons pas devant les empereurs de l'économie en ligne».

Humbles mortels

Comme lui, ses quatorze collègues voyaient dans cette audition sous serment l’occasion unique de prendre l’opinion à témoin de leur témérité devant une brochette de nababs de la Silicon Valley, incluant l’homme le plus riche au monde, Jeff Bezos, présent pour la première fois devant le Congrès, et la sixième fortune planétaire en la personne de Mark Zuckerberg.

Les «empereurs» ont pour certains tenu à rappeler qu’ils étaient aussi d’humbles mortels. Jeff Bezos, qui cherche au même moment par une campagne publicitaire nationale à démentir les mauvaises conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon, a décrit son enfance en Arizona, auprès d’une mère célibataire âgée de 17 ans à sa naissance. Sundar Pichai, PDG de Google a confié une nouvelle fois qu’il ne possédait ni ordinateur ni télévision dans sa jeunesse en Inde, et évoqué son effarement à la première vision d’une salle d’ordinateurs dans une université américaine.

Réduits à leur simple expression humaine, en l'absence des nuées de photographes du Congrès et de leur armée de conseillers, ils n'en ont pas moins subi le feu nourri des élus. Sundar Pichai s'est vu demander «pourquoi son entreprise vole le contenu d'honnêtes entrepreneurs», allusion à la toute-puissance du moteur de recherche Google. Mark Zuckerberg s'est vu vertement reprocher de «cloner les applications de ses concurrents en usant abusivement de leurs données», avant d'être confronté à un échange interne de mails censé prouver que son acquisition d'Instagram revenait à prendre le contrôle d'un rival potentiel.

«Ces règles ont pu être enfreintes»

Jeff Bezos, visiblement peu habitué à ce type de prestation, a dû répondre à une série de questions gigognes de la représentante démocrate d'une circonscription de Seattle incluant le siège d'Amazon, Pramila Jayapal, férue de technologie, démontant les pratiques d'Amazon en matière de prix et l'utilisation des données des vendeurs utilisant sa plateforme dans le but de favoriser ses propres produits maison. Bezos, rappelant que des directives internes interdisent ce genre de piratage a admis que «ces règles ont pu être enfreintes».

Dans un registre moins technique et bien plus émotionnel, les congressistes, l’entendant nier toute pression sur ces vendeurs, lui ont servi un enregistrement d’une conversation téléphonique avec un éditeur suppliant de remonter les prix de ses livres sur le site. Tom Cook, patron d’Apple, a été largement épargné par les membres du Congrès, hormis quelques piques sur l’accès des développeurs de programmes à l’App Store d’Apple ; mais il a dû, comme ses trois collègues, clamer son patriotisme en réponse aux attaques des républicains contre l’élite de la Silicon Valley.

Trump versus Google

Le camp pro-Trump, une nouvelle fois, offrait à sa base électorale un procès de Google, accusé de censurer les voix conservatrices sur son moteur de recherche, et même, comble du complotisme, de diriger vers la boîte spam les courriels personnels envoyés par le représentant républicain Greg Steube à sa famille. Sundar Pichai, seul Asiatique présent, a eu droit aux attaques nourries de Tim Jordan (Ohio) qui lui reprochait son prétendu tropisme prochinois et demandait «au dirigeant multiculturel» – en l'accusant d'avoir poussé Hillary Clinton en 2016 – de jurer qu'il ne favoriserait pas Joe Biden sur Google avant le scrutin de novembre…

Le coup de grâce est pourtant venu des démocrates, et des conclusions du président de la sous-commission antitrust. Assénant que ces quatre entreprises «exercent un pouvoir monopolistique», il a estimé que «certaines doivent être démembrées, d'autres mieux réglementées et rendre des comptes». Alors qu'une action antitrust de la Federal Trade Commission contre Facebook est possible cet été, les Gafam ont pu mesurer leur popularité à Washington.