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Ma frontière bien aimée (12/36)

Derrière la grande muraille

Souvenirs de passages de frontières, réelles, fictionnelles ou fantasmées. Il est toujours temps de rêver quand voyager devient compliqué.
(Illustration Christelle Causse)
publié le 30 juillet 2020 à 15h56

Dans la Muraille de Chine, de Franz Kafka, le narrateur découvre la construction du mur infini en se baladant le long du fleuve avec son père. «Un batelier étranger m'affirme qu'on va construire une Grande Muraille pour protéger l'Empereur. Devant le palais se rassemblent souvent, paraît-il avec des démons, les peuples mécréants pour tirer contre Lui des flèches noires…» Devenu grand, le héros raconte l'absurdité et la lenteur de la construction de ce projet pharaonique, exposé en permanence aux vents, aux attaques et à l'épuisement des ouvriers. Il décrit l'importance de la muraille pour la mythologie du pays, comme l'empereur : présente dans chaque tête sans que personne ne la voit jamais, intimidante sans avoir vraiment de pouvoir.

Episode précédent Mardin et le «califat»

En 1999, je suis un ado, je ne sais pas tout ça. Je suis simplement impressionné par son mouvement serpentin et par son étendue, aussi longue que l'Everest est haut, dont je ne perçois que quelques kilomètres. Je suis aussi jaloux de mon petit frère, blond comme les blés. Toutes les jeunes Chinoises se précipitent sur lui pour faire des photos. J'attends à ses côtés, dans l'ombre, regrettant qu'une armée mongole ne surgisse pas pour envahir tout ce beau monde. L'espoir est vain : il n'y aura plus d'invasion. Terry Pratchett avait raison (comme toujours) dans les Tribulations d'un mage en Aurient. Dans la psyché du régime, la grande muraille ne sert plus à protéger de l'extérieur, mais à, symboliquement, garder son peuple à l'intérieur. La Chine se renferme sur elle-même, au grand tourment des Ouïghours et des Hongkongais. Elle ne se soucie plus de savoir ce que pense le monde d'elle.

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