Sur les hauteurs de Mardin, citadelle turque adossée à la colline, lorsque le soleil se couche et emporte de son rouge vif le sable des plaines rudes de Mésopotamie, il est peu de vue plus belle. On oublie un instant les ruelles enchevêtrées dans lesquelles on s'est perdu, les escaliers casse-pattes, les regards, curieux, suspects ou lubriques dans cette cité à majorité kurde, carrefour historique où se croisent toutes les religions et les ethnies de cette région divisée. Là, face à l'immensité, sous les minarets musulmans et les clochers catholiques et orthodoxes, le temps s'arrête. On dit : «En face, là-bas, à quelques kilomètres, c'est la Syrie.» Nous sommes en 2013, la guerre ravage le pays d'Al-Assad mais elle ne s'est pas encore (trop) exportée. Daech n'a pas frappé dans nos rues. On n'a pas encore bien compris que des dizaines de jeunes hommes européens passent la frontière avec femmes et parfois enfants pour rejoindre le «califat». On pense qu'un jour on pourra aller à Damas…
Episode précédent Thaïlande-Laos, ça a du cachet
Mardin en elle-même représente un espoir. Les touristes étrangers, qui restent rares, ont le droit à nouveau d’y aller depuis quelques années. Tandis que la jeunesse démocrate secoue la place Taksim à Istanbul, la Turquie entrouvre son Kurdistan, qui a pris son indépendance de l’autre côté de la frontière. Brève parenthèse. Sept ans plus tard, Erdogan s’est recroquevillé sur lui-même, la Syrie est toujours en guerre et les Kurdes plus que jamais menacés. Je n’irai pas à Damas, et je sais que je n’irai probablement plus à Mardin. J’ai peur, un jour, d’oublier la beauté désertique et spirituelle des plaines de Mésopotamie.