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récit

Racisme dans la police : en Angleterre, des efforts mais le problème demeure

L’arrestation d’un couple à Londres début juillet a remis le dossier du racisme au cœur du débat, malgré des avancées réelles dans les années 2000.
Captures d’écran extraites de la vidéo montrant l’arrestation de Bianca Williams et Ricardo dos Santos. (Photos DR)
publié le 29 juillet 2020 à 18h36

Elle hurle, assise sur le siège arrière de la voiture : «Mais pourquoi, pourquoi ? Non, non, on n'a rien fait. Non, j'ai mon bébé avec moi !» La vidéo montre son bras, saisi par une policière, et d'autres officiers qui arrêtent de manière aussi musclée un homme qui crie : «Mais qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait ?» C'était le 4 juillet, en pleine journée, dans le quartier cossu de Maida Vale, dans le cœur de Londres. L'homme et la femme interpellés sont deux athlètes de haut niveau. La Britannique Bianca Williams, 26 ans, est médaillée d'or des championnats d'Europe 2018 en relais 4 × 100 mètres. Son compagnon et père de leur fils de 3 mois - le bébé qui était dans la voiture -, Ricardo dos Santos, 25 ans, est un sprinteur portugais.

Le couple revenait d'un entraînement et roulait dans une Mercedes noire aux vitres fumées. Williams et Dos Santos ont été contraints de sortir du véhicule et menottés durant quarante-cinq minutes sur le trottoir, pendant que les officiers fouillaient leur voiture, dans laquelle ils n'ont rien trouvé. Le champion olympique Linford Christie, coach de Ricardo dos Santos, a posté la vidéo sur les réseaux sociaux avec ce commentaire : «La police raciste, ce n'est pas seulement aux Etats-Unis #BLM». Tous les policiers impliqués sont blancs, les athlètes sont noirs. Ils ont décidé de porter plainte et ont accusé la police de «racisme institutionnel».

Rapport Macpherson

Trois jours plus tard, le 7 juillet, la Metropolitan Police envoyait deux officiers présenter leurs excuses au couple. Le lendemain, devant un comité parlementaire, dans une intervention assez extraordinaire, la commissaire Cressida Dick, cheffe de Scotland Yard, renouvelait «[s] es excuses pour le stress que cette intervention a occasionné». Elle annonçait aussi une enquête de l'Independent Office for Police Conduct (IOPC), la police des polices, même si de premières investigations semblaient conclure au respect des règles par les policiers. Mais «nous voulons répondre au degré d'émoi de l'opinion publique», a poursuivi Cressida Dick, avant d'annoncer aussi une révision des «conditions de l'usage des menottes et plus généralement de la force» lors des contrôles. La police avait justifié son action par le fait que le véhicule semblait rouler sur le mauvais côté de la route, ce que le couple conteste formellement en soulignant qu'il circulait dans une rue à une voie.

Pour les athlètes, il n'y a aucun doute : leur interpellation est liée à leur couleur de peau. «C'est juste toujours pareil. La police parlait [à Ricardo] comme s'il était un voyou», a raconté Bianca Williams. Son compagnon a révélé avoir été arrêté au moins quinze fois depuis que le couple a acheté cette Mercedes en novembre 2017 : «Ça fait partie de ma vie normale, et c'est triste.»

La police britannique dispose du droit d'«arrêter et fouiller» quiconque si elle «soupçonne raisonnablement» que la personne peut transporter des drogues illégales, une arme, un objet volé ou un objet pouvant servir d'arme. L'accusation de «racisme institutionnel» au sein de la police britannique date de 1999. Cette année-là, un juge écossais, William Macpherson, rendait un rapport de 650 pages sur les circonstances du meurtre de Stephen Lawrence, un étudiant noir de 18 ans tué à un arrêt de bus par deux jeunes Blancs, le 22 avril 1993. Le Premier ministre travailliste Tony Blair, tout juste élu, avait lancé l'enquête en juin 1997, après des années de campagne des parents de Stephen Lawrence et l'annulation des chefs d'inculpation contre deux des agresseurs.

«Sauver des vies»

Dans son rapport, dévastateur, le juge affirmait que la police britannique était «institutionnellement raciste» et avait accumulé les erreurs en raison d'une «incompétence professionnelle» et d'un «manque de leadership». Il suggérait 70 réformes pour démontrer une «tolérance zéro envers le racisme» dans la société. Soixante-sept de ces propositions ont entraîné des changements dans la loi ou en pratique, comme l'introduction d'objectifs de recrutement de personnes de couleur ou de promotion d'officiers issus de minorités ethniques. Ces changements visaient la police, la justice, mais aussi l'administration ou les services de santé. L'une des réformes a mis fin à l'interdiction de la «double peine» («double jeopardy»), qui empêchait quelqu'un d'être jugé deux fois pour le même crime. Cette loi, mise en œuvre en 2005, a permis la condamnation en 2012 de Gary Dobson et David Norris, deux des agresseurs de Stephen Lawrence.

Le 8 juillet dernier, devant le comité parlementaire, la commissaire Cressida Dick rejetait catégoriquement l'idée que la police restait institutionnellement raciste. «Si vous regardez mes équipes, vous verrez le groupe de personnes le plus divers que vous puissiez imaginer. Des personnes originaires d'Europe de l'Est, des homosexuels, que sais-je, juste une démographie très diverse. Ils me disent qu'ils trouvent affreux d'être accusés, et ils le ressentent personnellement, d'être racistes. Ils détestent ça. Ils veulent sauver des vies et ils veulent vraiment sauver les vies de personnes noires», a-t-elle plaidé.

Vingt et un ans après l’enquête Macpherson, selon les statistiques officielles du gouvernement britannique, les personnes noires ont dix fois plus de risques d’être arrêtées et fouillées que les blanches.