Les messages d'indignation affluent ce mercredi après le limogeage du professeur Benny Tai, décidé par une commission disciplinaire de l'Université de Hongkong. Un licenciement dicté, selon l'intéressé, par le gouvernement central chinois et qui «marque la fin des libertés académiques» dans l'ancienne colonie britannique. «Le personnel dans les établissements d'enseignement n'est plus libre de faire des déclarations publiques sur des sujets politiques ou sociaux controversés», a déploré ce professeur de droit et figure de l'opposition prodémocratie, et qui entend faire appel. Ce mercredi, trois meneurs étudiants ont par ailleurs été arrêtés pour des posts sur Facebook. Il s'agit des premières arrestations d'étudiants hors manifestations pour atteinte à la loi de sécurité nationale.
«L'Université de HongKong a sacrifié sa réputation et ne pourra garder la tête haute au sein de la communauté universitaire mondiale», a réagi sur sa page Facebook au sujet de l'arrestation de Benny Tai Joseph Chan, un professeur de sciences politiques de la Hongkong University (HKU). Sur Twitter, revient l'image de l'armoirie de l'université de Hongkong brisée en deux, sa devise «sapientia et virtus» (la sagesse et la vertu) déchirée pour dénoncer la «honte» tombée sur l'institution fondée en 1911 à flanc de colline.
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«Expulser Benny Tai revient à considérer les intellectuels, dont l'université pourrait être la plus fière, comme des ennemis, et c'est aussi une insulte à la connaissance», a réagi pour sa part l'artiste Sampson Wong, qui a réalisé un portrait photo de Benny Tai. Il représente l'universitaire de 56 ans dissimulé derrière une pile de 31 ouvrages sur l'état de droit et la démocratie délibérative, ses chevaux de bataille, qui, en plus de son statut universitaire, lui valent d'être depuis des années dans le viseur des autorités chinoises.
Campagne Occupy central
Comme le présente encore le site de la HKU, ce spécialiste de droit constitutionnel est «surtout connu pour avoir lancé la campagne Occupy Central with Love and Peace, un mouvement destiné à faire pression sur les autorités chinoises afin qu'elles honorent la promesse [faite avant la rétrocession en 1997, ndlr] d'autoriser les Hongkongais à élire le chef de l'exécutif en 2017 au suffrage universel».
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C'est justement après sa condamnation par la justice en avril 2019 pour son implication dans ce mouvement de désobéissance civile que l'université a ouvert une commission disciplinaire. Elle n'a pas donné d'explication mardi sur sa décision de licencier Benny Tai, qui exerçait dans ses murs depuis 1991, mais l'agence représentant le gouvernement central dans la région administrative spéciale s'en est chargée. Le Bureau de liaison établi à HongKong a pointé «une série de paroles et d'actions de l'universitaire maléfique» et qui «ont gravement intensifié le conflit social à Hongkong, empoisonnant le paysage politique».
Après Shiu Ka-chun, Benny Tai devient le deuxième universitaire à perdre son poste en raison de son implication dans le mouvement démocratique. Une sanction qui couvait depuis son rôle dans le Mouvement des parapluies de 2014.
Feu aux poudres
En mars 2013, le juriste formé à Hongkong et Londres présentait avec le sociologue Chan Kin-man et le révérend Chu un «manifeste». Ce fut le lancement de la campagne «Occupy Central», qui sera suivi par un référendum civique, des débats dans les campus et l’élaboration de stratégies, dont l’occupation de la chaussée dans le quartier des affaires à Central.
Le 31 août 2014, une décision de Pékin sur les élections locales met le feu aux poudres dans les campus et le 26 septembre, des étudiants franchissent des barricades érigées dans le complexe du gouvernement et sont arrêtés. Dans la foulée, des rassemblements se forment. Benny Tai est l’un de ceux qui, crâne rasé et badge jaune épinglé sur une chemise noire, prennent alors la parle pour appeler à la désobéissance civile. L’occupation des rues débute. Le centre financier sera à l’arrêt soixante-dix-neuf jours durant.
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Le juge qui l'a condamné en avril 2019 à seize mois de prison avait qualifié de «naïf» ce militant et ses acolytes pour avoir pensé qu'en bloquant des routes, ils feraient céder le gouvernement sur les réformes politiques. Les vétérans n'ont certes pas obtenu les réformes, mais ils ont nourri une fronde politique qui n'a cessé depuis de grossir pour éclater en manifestations monstres l'année dernière.
C'est à ce militant au visage rond et aux chemises au col souvent déboutonné qu'il faut aussi attribuer la paternité des premières primaires du camp prodémocratie les 11 et 12 juillet, lors desquelles plus de 600 000 électeurs ont désigné leurs candidats pour les législatives locales de septembre, malgré les risques sanitaires et policiers. Il a défendu alors le droit de la société civile à s'organiser, arguant que «la démocratie n'a rien à craindre et en débattre est garanti par la loi fondamentale» qui sert de mini-Constitution au territoire censé être semi-autonome jusqu'en 2047. Il s'est attiré pour cela les foudres de la presse chinoise et des autorités hongkongaises, qui l'accusent depuis de «biaiser» les élections et d'avoir potentiellement enfreint la nouvelle loi sur la sécurité nationale. Des accusations qui pourraient valoir des années de prison à cet inlassable avocat de la démocratie et de la non-violence.