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Voyage dans le temps

Expérience sensible

Tout l’été, la notion de temps revisitée par des photographes. Aujourd’hui, Yann Gross et Arguiñe Escandón, partis en Amazonie pour y capturer l’esprit de la vie indigène, loin de tous les clichés occidentaux.
par Emilie Rouy
publié le 17 juillet 2020 à 15h26
(mis à jour le 17 juillet 2020 à 17h26)

Le point de départ de ce voyage quasi chamanique, effectué par Yann Gross et Arguiñe Escandón, est une carte postale tirée d’une photographie de guerriers indigènes au Pérou oriental, épinglés tels des trophées par l’objectif «colonial» de Charles Kroehle vers 1890.

Déjà passionnés par l’Amazonie, les deux photographes, suisse et espagnol, décident de partir au Pérou tant pour suivre qu’effacer les traces de leurs prédécesseurs.

Regarder, sentir, éprouver. Pour aller à la rencontre de la forêt et des êtres qui l'habitent, vivants ou défunts, il faut se libérer des idées reçues et des clichés occidentaux. Pour ce faire, et afin de mieux comprendre l'approche médicinale et traditionnelle des communautés locales, les deux photographes consommeront différentes plantes de la pharmacopée amazonienne, comme l'hallucinogène ayahuasca - aya, «l'esprit» en langue quechua, qui donne son titre au livre -, feront des purges de tabac, des diètes de tamamuri, de chacruna (1)…

Traverser la jungle et s’y abandonner, se fondre en elle, cohabiter pleinement avec les vivants - humains, animaux - et les esprits, voilà pour l’expérience sensible, engagée.

Pour la photographie, le témoignage se veut, lui aussi, sensoriel. Là encore, le désir de s’émanciper des représentations suprémacistes et de rendre visible l’invisible, de faire émerger le latent, l’emporte sur les intentions documentaires.

La plupart des photos sont faites de façon intuitive, mais certaines, comme celle du voyage des fleurs sur le radeau, sont recréées selon les rituels des autochtones. Yann Gross et Arguiñe Escandón ont fait des recherches et ont identifié, parmi les plantes utilisées par les indigènes, celles qui ont des propriétés photosensibles. Une fois leur jus extrait, ils s’en serviront pour faire certains tirages et imprimer les textes de leur livre (cette tendre encre verte). Une écophotographie en somme.

(1) Aya de Yann Gross et Arguiñe Escandón, éd. RM Verlag (2019), 96 pp., 50 €.