«Ёршик», yorchik : une brosse de toilettes. Mais plus qu’un accessoire d’hygiène, c’est désormais aussi un symbole politique. L’humble yorchik a atteint ce statut tout récemment, dans la foulée de la publication du documentaire signé Alexeï Navalny «Un palais pour Poutine». Au fil de la visite guidée virtuelle que l’opposant organise au sein du délirant repaire secret du président russe, il détaille le prix de chaque objet : 2 millions de roubles (22 000 euros) pour ce canapé, 3 millions (33 000 euros) pour ce meuble-bar, 700 euros pour cette brosse à WC. Les Russes, toujours friands d’un même potache, en ont fait un symbole de ralliement pendant les manifestations massives qui ont secoué le centre des grandes villes du pays samedi 23 janvier, demandant la libération d’Alexeï Navalny.
Avant le président russe et son yorchik, c’était Dmitri Medvedev, alors Premier ministre, qui avait fait les frais de cette rencontre entre les enquêtes anticorruption de Navalny et l’humour de son public. En 2017, le film «Ne l’appelez pas Dimon» avait révélé aux Russes les goûts de luxe soigneusement dissimulés du chef du gouvernement et président par intérim entre 2008 et 2012, en particulier une somptueuse datcha dans la banlieue de Moscou. Sur la propriété, filmée depuis un drone, un étang au centre duquel «une cabane pour les canards». Dans les rassemblements – surtout d’adolescents et de jeunes – qui avaient suivi, les manifestants s’étaient fait une joie de brandir des canards en plastique pour évoquer la corruption de «Dimon».
«Le Moyen Age souffrant»
Puéril ? Peut-être. Le public de Navalny est jeune. Avec une moyenne d’âge comprise entre 30 et 35 ans, il est rompu aux codes de l’Internet russophone, le «runet», un bouillon de culture d’humour absurde et irrévérencieux, où les mèmes et images humoristiques se répandent à toute allure et n’hésitent pas à se mêler de politique. Par exemple la très populaire page Facebook «Le Moyen Age souffrant», qui s’est fait une spécialité d’accoler des légendes anachroniques à des miniatures médiévales. Sur l’une de leurs dernières créations, un chevalier en armure s’excuse : «Pardon, c’est parce que mon casque est embué» après avoir passé son épée au travers du corps d’un paysan désarmé.
Une référence à la justification boiteuse fournie par le policier qui, le 23 janvier, a décoché un coup de pied violent dans le thorax d’une femme, qui souffre toujours de séquelles. «J’ai cru qu’elle était agressive car ma visière était embuée», avait déclaré l’agent, alors que sur la vidéo, devenue virale, sa visière est clairement visible… en position relevée.
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