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Interview

Délit d'entrave à la fonction d'enseignant : «Ce serait bien de nommer ce type d’infractions»

Un amendement à la loi «séparatisme» propose la création d'une infraction spécifique aux professeurs. Pour l'avocat Laurent Hazan, cette mesure est redondante pénalement mais utile, à condition de s'accompagner d'une prise de conscience plus globale.
Le 17 octobre, à Rennes, lors d'une manifestation de soutien à Samuel Paty, enseignant assassiné la veille à Conflans-Sainte-Honorine. (Photo Damien Meyer. AFP)
publié le 1er février 2021 à 17h34

Plus de trois mois après l'assassinat de Samuel Paty, cette mesure a un raisonnement tout particulier. Sur proposition de la députée LR Annie Genevard lors de la commission spéciale, les députés ont introduit le 21 janvier dans le projet de loi «séparatisme», examiné en séance à partir de ce lundi, un délit d'entrave à la fonction d'enseignant. Cet amendement viserait à punir d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende «le fait d'entraver ou de tenter d'entraver par des pressions ou des insultes l'exercice de la fonction d'enseignant», lorsque celui-ci applique les objectifs pédagogiques des programmes édictés par l'Education nationale.

En instaurant un «délit d'entrave à la liberté d'enseigner, dans le même esprit que les délits d'entrave qui existe en matière de liberté d'expression ou de liberté syndicale», l'enjeu est d'empêcher que des personnes, notamment des parents d'élèves, contestent le contenu de certains enseignements et fassent pression sur les professeurs. Malgré sa portée symbolique, cet amendement ne fait pas l'unanimité chez les syndicats enseignants, dubitatifs face à sa mise en œuvre. Certains plaident plutôt, selon l'AFP, pour appliquer les dispositions existantes. Décryptage avec MLaurent Hazan, avocat à Paris, spécialisé dans la défense pénale des enseignants et fonctionnaires.

Jugez-vous utile la création de cette infraction spécifique ?

Même si les dispositions actuelles du code pénal sont suffisantes, je crois que dans l’esprit de tous, notamment des parents et des élèves, il serait bien qu’il y ait une infraction spécifique à ce type de comportement. C’est plus parlant, même si c’est redondant au niveau des mesures pénales. Je pense qu’il serait bien aujourd’hui de nommer ce type d’infractions.

Actuellement, comment sont protégés juridiquement les enseignants face à ce genre de pressions ?

S'ils sont victimes de violences physiques, d'outrages, de menaces, d'injures, les enseignants sont protégés par le droit pénal commun, il n'y a pas de dispositions spécifiques. Simplement, il y aura une aggravation de la peine lorsqu'il s'agira d'enseignants, du fait de leur qualité de fonctionnaire. Les professeurs bénéficient aussi de la protection fonctionnelle, issue de la loi du 13 juillet 1983, qui compile l'ensemble des droits et obligations des fonctionnaires. C'est très simple, l'Etat vient protéger ses fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions. Ça veut dire que l'on va d'abord leur permettre d'être assistés juridiquement et dans un deuxième volet prévoir la réparation des éventuels dommages avant même que le ou les auteurs soient jugés. En cas d'agression, ils doivent pouvoir bénéficier d'un soutien psychologique ou en cas d'atteinte matérielle on doit leur mettre à disposition un véhicule, si on leur a brûlé le leur par exemple. C'est une protection fondamentale, mais malheureusement peu de fonctionnaires en connaissent l'existence.

Est-ce que la création de ce délit d’entrave serait une mesure suffisante ?

Ce n'est pas un problème de dispositions du code pénal, il n'y a pas de déficit en la matière. C'est un problème plus global. Comme les enseignants ne se sentent pas soutenus, notamment par leur hiérarchie, ils sont dans une situation de déséquilibre dans leur rapport de force avec les parents et les élèves. Lorsqu'ils sont victimes d'une infraction, ils ont souvent en face d'eux des parents, des élèves tout-puissants et une hiérarchie qui leur recommande de ne pas porter plainte. C'est très compliqué pour eux. Lorsqu'ils franchissent le pas du commissariat, généralement on leur dit : «Ce n'est pas grave, il n'y a pas de raison de porter plainte.»

En outre, lorsque vous engagez des poursuites contre un élève, le lendemain, il faut continuer à lui faire cours. Si la hiérarchie ne l'exclut pas, même temporairement, vous êtes toujours confrontés à l'élève, à ses parents, aux camarades. Il y a un risque de perturbations, de mise en danger de l'enseignant, ce n'est pas neutre. Tout cet environnement fait que les profs abandonnent quasi instantanément les poursuites. Il faudrait donc une prise de conscience globale et pas simplement une modification du dispositif pénal. Il faut que la hiérarchie se réveille, que la police soit bien plus réactive et que les magistrats soient un peu plus sévères. Sinon, ça restera lettre morte comme le reste des dispositions du code pénal que l'on pourrait appliquer et qu'on n'applique pas.