Pascal n'en revient pas. Ce lundi matin, quand il a bouclé ses valises pour Belgrade, il était pourtant convaincu qu'il arriverait en Serbie sans encombre. Ce déplacement professionnel était prévu depuis longtemps. «J'avais une invitation pour le prouver. Mais à Nice, où j'ai pris mon premier avion, personne ne l'a vérifiée», raconte le quinquagénaire, cadre chez Coca-Cola. Alors qu'il s'apprêtait à embarquer pour sa correspondance à Roissy-Charles-de-Gaulle, le personnel de l'aéroport lui a calmement intimé de faire demi-tour. «Il y avait une erreur de date sur mon justificatif. Mon entreprise va m'en envoyer un nouveau mais c'est déjà trop tard : j'ai loupé mon vol et mon rendez-vous», ajoute-t-il, sans cacher son exaspération.
Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération
Et il était loin d'être le seul à osciller entre colère et inquiétude, au seuil des portes d'embarquement du premier aéroport français. Malgré les nouvelles restrictions de déplacement ordonnées par le gouvernement, les aspirants voyageurs étaient nombreux, ce lundi matin, dans le grand hall des départs du terminal 2E. Le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé vendredi soir l'interdiction de toutes sorties ou entrées en France, à destination ou en provenance d'un pays situé hors de l'Union européenne, afin de limiter la propagation du Covid-19 et l'arrivée sur le territoire des variants étrangers du virus. Pour passer outre, il est indispensable de présenter depuis dimanche, minuit, un justificatif de «motif impérieux».
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«Tous les papiers nécessaires»
«Comment voulez-vous qu'on s'organise ? Ils nous préviennent le vendredi à 21 heures, c'était trop tard pour décaler mon vol prévu ce matin», se lamente Esther. Cette Tourangelle originaire du Cameroun n'a pas vu sa mère, restée au pays, depuis le début de l'épidémie en mars. «Mon frère est mort il y a quelques mois, ma mère a beaucoup de chagrin, elle a besoin de moi auprès d'elle», explique la quadragénaire en tapotant anxieusement sur son téléphone. Le médecin de sa mère doit lui faire parvenir un justificatif. «J'espère que je le recevrai à temps», dit-elle en frottant ses paupières pailletées.
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D'autant plus que certains ont du mal à comprendre toutes les subtilités de ces nouvelles règles. Benoît, professionnel du spectacle, est attendu mardi à Dubaï pour une représentation. «J'ai tous les papiers nécessaires mais j'avais une correspondance à Francfort. Impossible d'embarquer, on m'a brièvement dit qu'en Allemagne il y avait des règles encore différentes qui ne me permettaient pas d'y faire escale», explique-t-il, crâne rasé, lunettes rondes et roses sur le nez. «Déjà que je ne peux plus travailler en France en tant qu'artiste, on m'empêche maintenant de survivre en allant me produire à l'étranger. La situation est complètement kafkaïenne. L'espace Schengen ne vaut plus rien, c'est grave», reprend-il en poussant un chariot envahi d'une pyramide de valises métalliques. Lui reconnaît «l'importance» de diminuer les déplacements internationaux pour lutter contre l'épidémie, mais peine à accepter qu'on «empêche les gens d'aller travailler».
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Fuir à tout prix
Ces difficultés n'ont pas freiné tout le monde. Certains essaient de partir coûte que coûte, même avec des justificatifs moins solides. «Nous, on veut fuir !» reconnaissent à l'unisson Pauline et Maxime, tous les deux 29 ans. Le couple, passionné de voyages, travaille dans la restauration. Voilà bientôt un an qu'ils vivent privés de ce qui les anime au quotidien. «On devait décoller dimanche soir pour le Mexique, mais notre avion a été annulé. On espère réussir à négocier en expliquant qu'on aurait dû pouvoir partir», détaille Maxime, en polaire grise et sac à dos de baroudeur. «Je me sens oppressée dans mon pays. Je comprends qu'on veuille freiner l'épidémie mais les mesures me paraissent de plus en plus illogiques. On peut s'entasser dans un supermarché mais par boire de café en terrasse ? Je veux être dans un pays où la vie continue, comme au Mexique», déclare Pauline, cheveux retenus par un bandana.
Un peu plus loin, un groupe de quatre jeunes s'apprêtent à embarquer pour Saint-Martin. Ils sont tous étudiants au sein de la prestigieuse école hôtelière de Lausanne et assurent être «trop contents» de pouvoir partir. «On ne s'est pas trop posé de question, notre stage dans l'hôtel a été maintenu, on s'est fait tester et on a tous les papiers nécessaires pour le démontrer», explique William, 20 ans. Il le sait, il a de «la chance» et il compte bien «en profiter».
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