«Des indicateurs transparents.» Certains ont dû s’étrangler en entendant Olivier Véran assurer lors de sa conférence de presse, jeudi, que les mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 étaient prises en toute clarté. Car s’ils sont transparents, les indicateurs qui déterminent le classement d’un département en différentes zones d’alerte sont aussi invisibles : impossible, en effet, de suivre leur évolution sur les portails statistiques des autorités. Ainsi, le ministre a annoncé jeudi soir le probable basculement de Paris en alerte maximale, lundi, en raison du passage des trois indicateurs dans le rouge. Mais les données sont toujours inaccessibles, en dépit de la promesse du gouvernement.
Son porte-parole, Gabriel Attal, avait en effet annoncé lundi que ces chiffres seraient publiés : «Le Président a souhaité que désormais l'intégralité des indicateurs localisés soient rendus publics chaque jour, c'est-à-dire, notamment, les indicateurs qui tiennent lieu de critères lorsque nous prenons des mesures plus restrictives dans certains territoires. […] Tous ces critères territorialisés et localisés seront désormais publiés chaque jour.» Jeudi soir pourtant, rien n'avait encore été fait en ce sens.
«Diffusion restreinte»
Les conséquences économiques et sociales induites par les mesures de lutte contre l’épidémie commandent pourtant, comme l’illustre la polémique marseillaise, une information complète. Depuis quelques jours en effet, la question se pose, sur les réseaux sociaux, de savoir si les villes d’Aix-en-Provence et Marseille ont été classées à tort en zone d’alerte maximale la semaine dernière, conduisant à la fermeture totale de leurs bars et restaurants. A l’origine de cette interrogation, la publication d’un document de la Direction de la santé, contredisant les chiffres avancés jusqu’ici…
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Pour rappel, le gouvernement a rendu publique, le 23 septembre, une nouvelle cartographie de suivi de l’épidémie Covid-19 en France. Celle-ci comprend désormais trois principales catégories («Alerte», «Alerte renforcée» et «Alerte maximale»), basées sur trois indicateurs : le taux d’incidence (nombre de nouveaux cas pour 100 000 habitants sur une semaine) ; le taux d’incidence chez les personnes âgées, (nombre de nouveaux cas pour 100 000 habitants chez les plus de 65 ans) ; et, enfin, la part des lits en réanimation occupés par des patients Covid. Pour être placé en alerte maximale, un territoire doit avoir franchi trois seuils : un taux d’incidence global à 250, un taux d’incidence des plus de 65 ans à 100, et un taux d’occupation à 30 % des lits en réanimation par des malades du Covid.
Dans la foulée de la présentation de cette nouvelle carte, et sur la base de ces indicateurs, les autorités annoncent, le 23 septembre, qu'Aix-Marseille (et la Guadeloupe) basculent en zone d'alerte maximale. Un choix contesté localement, mais que justifie, quatre jours plus tard, le directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) de Paca, dans un courrier au préfet. Courrier qui déclare que les trois indicateurs étaient bien dans le rouge quelques jours plus tôt, en l'occurrence pour la semaine du 15 au 21 septembre. Problème : un document, publié sur Twitter, et repris par France Soir, est venu brouiller la communication des autorités.
Il s'agit d'une note de la Direction générale de la santé («comité de crise sanitaire»), destinée à une «diffusion restreinte», et datée du 22 septembre. Le document indique que le taux d'incidence sur la métropole Aix-Marseille n'est «que» de 185,1. Loin de la barre de 250, au-delà de laquelle un territoire peut être placé en alerte maximale. Même pour Marseille, le taux d'incidence apparaît légèrement inférieur à la limite, avec 240,8.
Sauf que ces données confidentielles, inférieures en apparence au seuil, n’ont absolument rien à voir avec ce qui a été communiqué par les autorités. Dans le courrier émanant du directeur de l’ARS Paca, Philippe De Mester, au préfet des Bouches-du-Rhône, datant du 27 septembre et justifiant a posteriori le placement d’Aix-Marseille en zone d’alerte maximale, le taux d’incidence pour Aix-Marseille était chiffré à 275.
Les règles changent
Comment expliquer cette contradiction apparente ? Il n'y en a pas, selon l'ARS Paca, qui livre cette explication : le document ayant fuité livre des données pour la «métropole», englobant Aix-Marseille, mais aussi, du coup, de nombreuses autres communes limitrophes. «L'intégration de villes limitrophes, dans le document de la cellule de crise sanitaire, fait donc chuter ces taux», explique l'ARS à Libération. A l'inverse, l'ARS, dans sa lettre au préfet, communique, elle, sur les seuls chiffres d'Aix et Marseille. D'où des données beaucoup plus élevées, en tout cas au-dessus des seuils.
Mais cette explication soulève un autre point particulièrement flottant de la communication gouvernementale : le niveau territorial retenu pour évaluer les indicateurs et prendre les décisions. Dans son dossier de presse diffusé le 23 septembre sur les nouvelles classifications, le ministère de la Santé indique clairement que le taux d’incidence globale sera observé au niveau métropolitain, le taux d’incidence des plus de 65 ans au niveau départemental, et le taux d’occupation des lits en réanimation au niveau régional. Or dans son courrier, le directeur de l’ARS, comme on l’a vu, a justifié le classement d’Aix-Marseille en alerte maximale en se basant sur les trois indicateurs calculés au niveau des villes seulement. Si cette lecture peut être défendue d’un point de vue sanitaire, elle donne l’impression que les règles changent de manière arbitraire. Interrogé, le cabinet d’Olivier Véran reconnaît que les indicateurs, contrairement à ce que suggérait le dossier de presse, sont observés à un niveau plus fin que l’approche départementale, régionale ou métropolitaine. Et évoque même la prise en compte de projections dans le temps.
Jeudi, la conférence de presse d’Olivier Véran n’a pas contribué à clarifier ce point. Au contraire. Réaffirmant que l’indicateur du taux d’occupation en réa s’appréciait au niveau régional, le ministre de la Santé, quelques minutes plus tard, expliquait que Paris avait franchi le seuil des 30 % de capacités Covid en réanimation au niveau de la ville et de la petite couronne, et non pas sur l’Ile-de-France. Encore des progrès à faire avant la «transparence».