Bouton Lire dans l'app Lire dans l'app
Epidémie

Doit-on s'inquiéter des cas de Covid-19 dans les grands magasins parisiens ?

Plusieurs grands magasins parisiens correspondent à la définition de clusters. Mais les équipes de l'ARS classent les foyers de contamination selon leur «niveau de criticité».
Aux Galeries Lafayette Haussmann, à Paris, le 30 mai. (ALAIN JOCARD/Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 19 août 2020 à 14h02
(mis à jour le 19 août 2020 à 16h02)

Trois nouveaux cas détectés en l’espace de trois jours. Aux Galeries Lafayette du boulevard Haussmann, temple du shopping chic parisien, l’inquiétude se répand parmi les salariés et démonstrateurs du magasin. Entre rumeurs et communications internes de la direction, on tient fébrilement le compte des récentes contaminations au virus du Covid-19.

Samedi, deux tests sont revenus positifs parmi les vendeurs. Ils viennent s'ajouter aux précédents cas avérés les 4, 9 et 13 août. Lundi, sept collaborateurs étaient identifiés comme potentiels sujets contacts ; ils sont en isolement en attendant les résultats de leurs propres tests. Auprès des employés, néanmoins, la direction se montre rassurante : «Selon les éléments recueillis par le service médical, ces cas n'ont pas de lien entre eux et les deux démonstrateurs n'ont, à notre connaissance, pas été contaminés dans le magasin. Et surtout, ils n'ont à ce jour pas créé de chaîne de transmission dans le magasin.»

L'enjeu – à la fois sanitaire et commercial – est bien là : éviter à tout prix que cet espace brassant chaque jour des milliers de clients ne devienne un lieu de circulation active du virus. Or, dans les grands magasins parisiens, qui ont rouvert leurs portes au mois de mai après deux mois de confinement, la situation interroge. Selon nos informations, cinq cas de Covid-19 ont été détectés au Printemps Haussmann ces dernières semaines. A la Fnac des Ternes (XVIIe arrondissement), la direction a confirmé l'apparition de six cas. Quant au Bon Marché, il dénombre quatre cas avérés depuis le 13 août.

Plusieurs de ces magasins parisiens correspondent ainsi à la définition d’un cluster actif, actuellement au nombre de 30 à Paris (74 au total en Ile-de-France), selon l’ARS. Figurent dans cette liste les «communautés» (comprendre des unités de lieu) qui cumulent trois cas ou plus de Covid-19 sur une période de sept jours. Selon nos informations, le Bon Marché figure ainsi dans la liste des clusters parisiens. Techniquement, ce devrait aussi être le cas pour les Galeries Lafayette (trois cas entre le 13 et le 15 août).

Criticité modérée à élevée

Pour autant, la situation doit-elle vraiment inquiéter ? Les contaminations semblent, à l’heure actuelle, isolées géographiquement les unes des autres. A la Fnac des Ternes, cinq services différents sont concernés, selon un élu syndical. Côté Bon Marché, les vendeurs testés positifs travaillent pour des marques différentes, sur des stands situés au rez-de-chaussée et au niveau -1, notamment. Les directions des marques, quand elles communiquent, insistent d’ailleurs largement sur ce point : pour l’instant, il n’est pas avéré que les contaminations aient eu lieu dans l’enceinte des établissements.

Par ailleurs, et contrairement aux écoles par exemple, ces grands magasins constituent des «communautés» très larges. Aux Galeries Haussmann, en comptant les différents bâtiments et le siège social, on dénombre plusieurs milliers de salariés. Au Bon Marché, ils sont 900 à travailler quotidiennement sur place. Pour l’heure, le nombre de personnes contaminées, rapporté au nombre d’employé, peut sembler dérisoire.

La dénomination de clusters n'est pas, en soi, un indicateur de gravité d'une situation. C'est un outil qui permet de comprendre le regroupement dans le temps et l'espace d'une maladie ou de symptômes. Bruno Lina, épidémiologiste, ne dit pas autre chose : «Trois cas dans un grand magasin, en soi, ce n'est pas beaucoup, mais c'est important d'investiguer, car l'augmentation progressive du nombre de cas parmi le personnel peut poser problème. En épidémiologie, on ne parle pas en termes d'inquiétude. On constate. L'identification d'un cluster signifie simplement qu'on analyse la situation pour remonter à la source des contaminations.»

Il existe en revanche différents niveaux de criticité pour les clusters. Ce que nous confirme l'ARS : «Les équipes d'investigation évaluent le niveau de criticité de ces clusters de modéré à élevé, selon, bien entendu, la situation.» Le guide pour l'identification et l'investigation de situation de cas groupés de Covid-19, élaboré par Santé publique France, précise d'ailleurs des «critères de complexité» pour les clusters en milieu professionnel. Ainsi, les indicateurs passent au rouge lorsque le nombre initial de cas est supérieur à trois, que la vitesse de survenue des cas augmente (trois cas supplémentaires en 48 heures) ou qu'il existe plus de trois chaînes de transmission. Ce qui, a priori, n'est pas le cas dans les grands magasins parisiens, où la situation semble pour l'instant sous contrôle.

Cabines et retouches

Pour autant, côté syndical, on ne cache pas une certaine inquiétude. Le représentant du syndicat SUD aux Galeries Lafayette Haussmann, David Pereira, redoute une aggravation : «La situation se dégrade de jour en jour, on commence à s'inquiéter pour le personnel. La direction évoque des cas dans des zones isolées les unes des autres. Alors c'est vrai, on ignore si les contaminations se font dans les magasins, mais on commence à voir que le rez-de-chaussée et le rez-de-chaussée bas sont, de fait, particulièrement touchés.»

Il déplore, en outre, que les demandes syndicales de fermer les cabines d'essayage et d'interrompre la pratique des retouches soient restées lettre morte. «Les distanciations physiques ne sont pas respectées pendant les retouches. Quant aux cabines, c'est au vendeur de les nettoyer. Mais pendant les soldes, c'était impossible de désinfecter entre chaque client. Par ailleurs, les vêtements sont remis en rayon tout de suite et tout le monde touche à tout.» Le syndicat avait également demandé la fermeture d'une passerelle entre les Galeries Lafayette Homme et le magasin principal, afin de mieux contrôler le flux de clients. Là encore, David Pereira indique ne pas avoir été écouté. Le groupe Galeries Lafayette, sollicité à de multiples reprises, n'a pas donné suite.

Pour Bruno Lina, la situation actuelle dans les grands magasins parisiens ne doit pas faire paniquer outre mesure. «Il est clair que dans les grands magasins, qui sont clos et concentrent du monde, les mesures d'hygiène et de distanciation sont particulièrement importantes. Les gens ont peur des contaminations par manuportage [en touchant les objets et les vêtements, ndlr], mais cela se prévient en utilisant du gel hydroalcoolique. Les contaminations aériennes sont plus dangereuses, raison pour laquelle clients et vendeurs doivent correctement porter le masque – sans laisser dépasser le nez ou la bouche.» Dans les grands magasins, poursuit le spécialiste, «si les visiteurs sont correctement protégés, il n'y a pas de surrisque». D'autant que ces structures n'ont pas attendu le décret du 20 juillet pour imposer le port du masque à l'intérieur. Clients et salariés sont obligés de le porter depuis le mois de mai, lors de la réouverture post-confinement.