Bouton Lire dans l'app Lire dans l'app
Interview

Masques : «Les complotistes hystérisent le débat»

Pour Rudy Reichstadt, de Conspiracy Watch, les masques servent de prétexte aux conspirationnistes afin d’aggraver la crise de confiance envers les autorités et les médias.
A Londres, le 19 juillet. (Photo Hollie Adams. Getty Images)
publié le 3 août 2020 à 18h11

Fondateur et animateur du site ConspiracyWatch. info, auteur de l'Opium des imbéciles, essai sur la question complotiste (Grasset, 2019), Rudy Reichstadt replace la mouvance «antimasque» dans le sillon du mouvement complotiste.

D’où vient le mouvement antimasque ?

On a vu les premiers signaux émerger dans la complosphère anglophone, plus particulièrement du côté des Etats-Unis, dans les fractions les plus radicales de la population, qui se proclament ni à gauche ni à droite mais aux marges. Les antimasques s’inscrivent dans le mouvement plus large du complotisme, de ceux qui se pensent comme des dissidents face à un système qui leur ment et veut les opprimer. On les retrouve sur des plateformes bien identifiées comme Reseauinternational.net, Alterinfo.net ou Wikistrike, qui font du complotisme un fonds de commerce depuis longtemps. Ce sont les mêmes qui étaient contre le confinement, par exemple.

Quelle est l’ampleur de ce mouvement ?

Je ne pense pas qu'il soit possible d'estimer leur nombre. Cela reste marginal, même s'ils ont une certaine visibilité sur les réseaux sociaux, leurs messages étant relayés par ceux qui défendent la cause antimasque, et par ceux qui commentent et critiquent ce mouvement. Mais je ne suis pas certain que cela prendra des proportions importantes : la majorité des Français suit les recommandations gouvernementales en matière de port du masque. On a cependant pu voir des mouvements conspirationnistes devenir massifs, comme QAnon aux Etats-Unis, apparu fin 2017, qui répand l'idée qu'au sein de l'Etat américain des forces obscures complotent contre Donald Trump pour saboter son action, notamment celle de nettoyer le pays de grands réseaux pédocriminels. Trump en joue de manière assez cynique et dangereuse.

Quel est le but des complotistes ?

A la limite, le sujet du port du masque est secondaire, les complotistes font feu de tout bois : par temps de pénurie de masques, ils seraient les premiers à dire que l’Etat empêche d’en porter. Sans pénurie, ils disent que les masques ne servent à rien, empêchent de respirer… Ce qui leur importe est de faire du bruit autour de tout cela, d’hystériser le débat, de flatter les peurs, d’aggraver la crise de confiance envers les paroles d’autorité : l’Etat, la science et les médias officiels. Ces derniers doivent réfléchir à la manière d’intégrer dans leur démarche la menace de cette complosphère sur la démocratie.

Que peuvent faire les médias pour lutter contre cela ?

Depuis des années, chaque fois qu'il y a des théories du complot qui deviennent visibles sur les réseaux sociaux, la presse embraye immédiatement, jusqu'à la prochaine théorie complotiste. Il faut en parler, donner des réponses démystificatrices à ceux qui se posent des questions. Aucune question n'est sotte, mais il faut aller plus loin que la vérification des faits, montrer par exemple que les théories du complot ne sont pas forcément des fake news, mais des propos énoncés sur un mode tendancieux, comme «je dis ça, je dis rien» ou «je me pose des questions…» et qui échappent au strict fact checking. Il est aussi nécessaire d'expliquer l'intérêt qu'ont les gens à diffuser de fausses nouvelles, de raconter l'historique de ces mouvements et des protagonistes qui les relaient. A Conspiracy Watch, on se sert par exemple d'un outil pour que l'internaute qui tape par exemple «nouvel ordre mondial» sur Google, tombe dans les premiers résultats sur une notice qui raconte l'histoire de ce terme. Il s'agit de faire une analyse critique des textes et vidéos complotistes en les replaçant dans le temps long des idées.