Ils espéraient partir en vacances et laisser la polémique Girard se tasser. Mais les révélations de Mediapart, lundi soir, ont fait l'effet d'une réplique sismique parmi les conseillers de Paris, obligeant socialistes et écologistes à remettre le nez dans leur début d'alliance mouvementé. Selon le site, trois notes de frais ont été retrouvées dans la comptabilité municipale, preuves de déjeuners entre l'adjoint d'Anne Hidalgo à la culture et Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour «viols sur mineurs». Entendu en mars dans le cadre de cette enquête, en tant qu'ancien secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent, qui a apporté un soutien financier à l'écrivain dans les années 80, Christophe Girard a toujours affirmé qu'il n'était pas au courant des agissements de Matzneff, bien que ce dernier les ait racontés dans ses livres. «Christophe n'a jamais voulu défendre un pédophile mais il paie son ego surdimensionné, analyse un ancien de la majorité municipale. Il aime briller donc il veut intervenir pour tout et pour tout le monde.» Dans l'entre-deux-tours, la place de Christophe Girard au sein de l'exécutif faisait déjà l'objet de tensions entre socialistes et écolos. Bien qu'aucune procédure judiciaire ne vise l'élu, les Verts considéraient qu'il était moralement périlleux de lui redonner un portefeuille.
«Sur le cul». «Ils ont eu de la chance que l'enquête du New York Times [qui épinglait les soutiens de Matzneff, ndlr] ait été éclipsée par le Covid, analyse un élu vert. Hidalgo n'avait pas pris d'engagement mais pour nous, c'était réglé. Quand on a appris qu'il était nommé, on était sur le cul.» Jeudi, après des tentatives avortées de court-circuitage, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, deux militantes féministes élues sur les listes écolos, ont organisé une manifestation devant l'hôtel de ville. Le soir même, Christophe Girard démissionnait, au grand dam d'Anne Hidalgo. Pourtant, à ce moment-là, l'édile est déjà au courant des notes de frais pour des déjeuners datant de 2016, 2017 et 2019. Selon Mediapart, son entourage a d'ailleurs conseillé à l'adjoint de démissionner. Interrogés par Libération, plusieurs élus de la majorité avouent ne pas comprendre l'attitude d'Anne Hidalgo. «Vendredi matin, elle a demandé aux présidents de groupe de s'exprimer publiquement sur la manif alors qu'elle savait. Elle nous a pris pour des cons», admet un adjoint. Dans l'entourage de la maire, on brandit la carte de la conviction. «Elle a affirmé une position de principe. On n'écarte pas quelqu'un pour des amalgames», affirme Rémi Féraud, le président du groupe socialiste au Conseil de Paris. Et pourtant le 22 juillet, dans une interview, Girard évoquait encore «les amours d'un écrivain avec une jeune femme».
Rémi Féraud dénonce la méthode employée par ses alliés. «Dans une manif où il y a trente personnes, dont la plupart sont des proches, on peut contrôler les pancartes», s'agace-t-il, en référence aux slogans «pédo en commun» et «bienvenue à pédoland». Pour certains socialistes cependant, la situation est inconfortable. «Il y a eu une erreur politique côté Hidalgo», admet une élue, qui avoue avoir été elle-même dans un «dilemme humain». D'un côté, il y a les principes moraux, de l'autre la loyauté envers un adjoint auquel on s'attache. C'est ainsi que certains s'expliquent le soutien d'Anne Hidalgo : les deux siègent ensemble depuis des années et la maire elle-même le qualifie d'«ami». «Il y a de ça, mais c'est surtout qu'elle n'aime pas être prise en défaut, analyse un ancien proche de la socialiste. C'est une forme de déni. Elle n'a pas voulu reconnaître son erreur alors qu'elle l'a imposé à tout le monde.»
«Inimitiés». Avant même l'affaire Matzneff, en novembre, les alliés de Génération·s avaient en effet demandé la tête de Christophe Girard, nommé adjoint pour la première fois en 2001. Une question de «renouvellement», affirmaient-ils. «Il a créé pas mal d'inimitiés, explique un ancien élu. C'est une personnalité complexe : il est très fin, drôle, mais aussi d'une perversité sans égale, il a toujours un mot pour rabaisser ses concurrents.» En février, quand l'enquête du New York Times est publiée, les très proches de la maire, dont Emmanuel Grégoire, son premier adjoint, mais aussi Rémi Féraud, ont reposé la question de sa place sur la liste du XVIIIe arrondissement. «Le problème Girard, ce n'est pas Coffin et Leleu qui le posent, affirme un adjoint. Le malaise est assez ancien. Le sujet, ce n'est pas l'affaire en elle-même mais la façon dont il se défend.» Hidalgo décide pourtant de le reconduire à son poste. «Elle a voulu le maintenir coûte que coûte, elle s'est enfermée dans son truc», déplore le même adjoint. Chacun a son bout d'explication : «il a beaucoup insisté», «elle est loyale», «elle se disait qu'il valait mieux l'avoir avec soi que contre soi», «il est très apprécié dans le monde de la culture»… Pendant des mois, malgré les désaccords, les bouches sont restées cousues. Une question de discipline de groupe. Jusqu'à l'élection de personnes issues d'une autre culture politique. «Les Verts ne peuvent pas crier victoire, relativise un élu de Génération·s. Ça n'arrange personne, cette histoire. Commencer un mandat comme ça, c'est terrible.»