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Reportage

Jean Castex choisit Nice pour afficher sa ligne sécuritaire

Accueilli par le maire LR, Christian Estrosi, le Premier ministre a promis d'élargir les pouvoirs de la police municipale et une plus grande sévérité contre les délits de stupéfiants.
Le premier ministre Jean Castex et le maire Christian Estrosi à Nice ce samedi. (Laurent Carré/Photo Laurent Carré pour Libération)
publié le 25 juillet 2020 à 15h21

Le supermarché et sa façade rouge matérialisent l'une des entrées du quartier. Quand en 2015, un supermarché Casino s'installe au pied des immeubles des Moulins, à l'ouest de Nice, ce n'est pas seulement un commerce qui ouvre. C'est aussi l'espoir d'un désenclavement et d'une nouvelle attractivité. Lundi matin, cinq ans après l'ouverture, son parvis a été le théâtre d'une fusillade en plein jour «très vraisemblablement sur fond de trafic de drogue», expose Jean Castex. Alors c'est devant cette enseigne, ce samedi, que le Premier ministre, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, et le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ont activé le tournant sécuritaire de leur politique, jusque-là effacée par l'actualité liée au Covid-19.

Les trois ministres se sont retrouvés au bon endroit au bon moment : dans une ville où le maire LR Christian Estrosi mise tout sur la sécurité au cœur d'une actualité très marquée par les règlements de compte. Il n'en fallait pas plus pour dégainer un plan à base d'effectifs de police et de «suite pénale». Jean Castex a annoncé «la forfaitisation des délits de stupéfiants» afin «d'appliquer une sanction sans délai» et «de lutter contre les points de revente qui gangrènent les quartiers». Christian Estrosi avait demandé des renforts de policiers et des compétences élargies de la police municipale. Requête totalement acceptée : rien qu'à Nice, 60 agents seront prochainement déployés, une «indemnité de fidélisation» sera accordée, une expérimentation de coopération entre polices nationale et municipale sera menée et un commissariat commun sera créé. «Les policiers appelaient au secours. On a besoin d'aides et d'effectifs, lançait Laurent Martin de Frémont, secrétaire départemental Unité SGP 06, avant les annonces. Créer du lien avec la population, c'est capital. Les policiers aujourd'hui ne sont pas assez nombreux pour assurer cette sécurité.»

Une ligne de tram

Aux Moulins, les habitants s'identifient par le numéro de leur immeuble. Rania habite au 27. Lundi, elle a entendu et vu les coups de feu depuis sa fenêtre. «Il nous faut la police et l'éducation, puis un accompagnement derrière, argumente cette mère de deux enfants qui a vu la situation se dégrader depuis une dizaine d'années. C'est triste parce que c'est un beau quartier.» Les Moulins sont sortis de terre à la fin des années 60. C'est ici, à l'ouest de Nice, que des rapatriés d'Afrique du Nord ont emménagé dans des logements à taille humaine, de quatre étages maximum. Puis les tours se sont allongées, le quartier s'est densifié, les barres d'immeubles l'ont encerclé. «La situation s'est dégradée à la fin des années 90, raconte Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR et ancienne conseillère départementale du secteur. La qualité de vie, l'environnement, les difficultés de pénétrer à l'intérieur ont fait que la cité s'est repliée sur elle-même et renfermée.» Un plan de 205 millions d'euros de rénovation urbaine a permis de casser une barre d'immeuble, de démolir 570 logements, d'en réhabiliter d'autres, de créer des routes, d'accueillir un commissariat, des commerces, le supermarché Casino.

Les 10 000 habitants des Moulins se retrouvent aujourd'hui au bord d'une ligne de tram et d'un quartier d'affaires. «C'est devenu une plaque tournante du grand banditisme et d'affrontement souvent entre personnes extérieures au quartier, même à la ville de Nice et au département, regrette l'élue. Ça s'est cristallisé depuis deux ou trois ans.» Jusqu'aux trois fusillades qui ont éclaté en un mois seulement aux Moulins.

Photo Laurent Carré pour Libération

Ce samedi, les trois ministres sont partis du supermarché pour déambuler dans la ville. Objectif : montrer la fermeté de l'Etat. «Il faut nettoyer tout ça, lance Malek du 35, devant les étals de légumes. Il y a du laxisme. Ce n'est pas normal de marcher dans la rue et de risquer de prendre une balle perdue.» Son copain Moustafa loge au 43 avec ses trois enfants : «Oui on a un Casino, une école, une piscine. La ville a changé mais les mentalités restent les mêmes, analyse-t-il. Pour rentrer, il y a dix personnes devant l'ascenseur : on n'arrive plus à la maison tranquille. Cette fois-ci, il faut que l'Etat montre l'exemple.» Rachida, du bâtiment 40, raconte sa «trouille». Ses seules sorties se limitent aux commissions au supermarché. «On reste à la maison. Le courage on ne l'a plus, maintenant c'est la peur. Les jeunes ont même arraché la porte d'entrée.»

«Ascenseur cassé»

Véronique est arrivée à interpeller Jean Castex pour lui exposer sa solution : la légalisation des drogues et des incarcérations plus longues. Leïla a exposé aux ministres son «ascenseur cassé», sa «fille qui a peur», le quotidien avec les dealers. «Je suis là pour ça : voir et écouter, lui a répondu le Premier ministre. Et maintenant on va agir.» Par un discours sécuritaire et judiciaire. Sur le parvis du Casino, Karim Ben Ahmed, directeur de l'association d'aide aux devoirs Adam et nouveau conseiller municipal, a une autre vision de la parade à mettre en place face aux trafics et à leurs violences. «Tout ne se règle pas par la sécurité, estime-t-il. Il faut aussi axer sur un accompagnement et passer par des actions d'insertion. Il nous faut une feuille de route sur le volet de l'éducation des jeunes.» Les ministres et leurs annonces resteront bloqués au rayon sécurité.