Alma Dufour est chargée de campagne «surproduction» aux Amis de la Terre, ONG qui a soutenu la plainte en justice du syndicat SUD-Solidaires contre Amazon. Elle appelle gouvernement et citoyens à agir.
Amazon interrompt l’activité dans ses entrepôts en France au moins jusqu’au 20 avril, le temps d’évaluer les risques professionnels liés au Covid, après la décision de la justice, mardi, d’ordonner au géant du e-commerce de limiter son activité aux biens essentiels. Cela marque-t-il un tournant ?
La décision des juges de Nanterre est historique car elle met un coup d’arrêt à un mastodonte que rien ne semble stopper en temps normal, qui bénéficie d’une forte impunité fiscale, sociale et environnementale depuis des années. En ce sens, oui, c’est un tournant. Mais c’est une décision de la justice, hélas pas du gouvernement. Avant la plainte de Solidaires, nous avons écrit plusieurs fois aux ministres de l’Economie et du Travail, Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud, pour les alerter sur les conditions de travail chez Amazon et la situation catastrophique des petits commerces, dont 86 % sont obligés, eux, de fermer à cause du Covid, d’après la Confédération des commerçants de France. Nous n’avons pas eu de réponse satisfaisante.
La position du gouvernement n’est pas claire. Avant la crise du Covid, il nous laissait entendre que le modèle d’Amazon serait remis en question. Car même Bercy reconnaît un problème : d’après le ministère, 98 % des vendeurs de la place de marché d’Amazon frauderaient la TVA, ce qui pourrait représenter un déficit pour l’Etat de plus d’1 milliard d’euros. Il sait aussi que le modèle d’Amazon détruit au moins deux fois plus d’emplois qu’il n’en crée. Et que le dumping sur les prix génère de la surproduction, que la livraison par avion en vingt-quatre heures est terrible pour le climat… Pourtant, l’Etat a validé quatre des neuf projets de nouveaux entrepôts d’Amazon en France - à Lyon, Metz, Fournès (Gard) et Annecy -, qui doivent tripler sa surface de stockage. La crise nous maintient dans le doute. Muriel Pénicaud a alerté sur les conditions sanitaires non respectées mais n’a pas fait fermer l’activité d’Amazon. S’attaquer à lui demande une grosse dose de courage politique.
Certains petits commerçants disent qu’Amazon est tout ce qui leur reste pour vendre en temps de Covid…
L’Etat les met dans cette situation : s’ils sont fermés à cause du Covid, c’est normal qu’ils veuillent écouler leurs stocks. Mais c’est un piège pour eux. Amazon les exploite : le géant fait de la place de marché car il lui est plus profitable de toucher une commission fixe de 15 % sur les ventes que de vendre lui-même les produits. Et, in fine, la stratégie d’Amazon est de s’approvisionner directement auprès de PME chinoises pour casser les prix et de pousser vers la sortie les PME françaises qui vendent encore sur le site. C’est pour ça que la Confédération des commerçants de France incite les commerçants à ne pas vendre via Amazon. C’est aussi un cercle vicieux : plus on laissera Amazon s’étendre, plus les dommages collatéraux seront lourds quand on voudra démanteler cette entreprise.
Que devrait faire l’exécutif ?
Ne pas autoriser les cinq projets d’entrepôts qu’Amazon prévoit encore en France. Et lui imposer des quotas sur les mises en marché annuelles de produits. En France, par exemple, 40 vêtements sont mis sur le marché par habitant et par an - dont seulement 1% contiennent des fibres recyclées. C’est bien trop, car l’impact environnemental du textile est catastrophique : le secteur émet entre 2,5% et 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et doit les réduire de moitié d’ici à 2030 pour respecter l’accord de Paris sur le climat. Il faut donc imposer des plafonds de mise en marché à Amazon, mais aussi aux géants du textile, comme H&M ou Inditex (qui détient notamment Zara). Ce type de quotas a été envisagé pour le plastique dans la loi antigaspillage. Cela doit donc être possible pour le textile.
Que peut faire le consommateur ? Boycotter ?
On recommande de ne pas acheter sur Amazon, oui. On appelle aussi, si c’est possible, à rejoindre les luttes citoyennes contre les projets d’Amazon, portées par des collectifs locaux de riverains et soutenues par des militants de Youth for Climate, d’Extinction Rebellion ou d’ANV-COP 21. Plus on est nombreux, plus on a de chances de se faire entendre.