Il est 20h30 ce mercredi à Meaux. Voilà des heures qu'il patiente dans les couloirs du tribunal correctionnel, et vingt minutes qu'il trépigne sur son banc à la vue des prévenus. Puis Milo (1) n'en peut plus : il se lève et désigne l'un des six jeunes gens assis dans le box : «Lui, là ! Mon voisin ! La nuit où ma voiture a brûlé, il est venu me voir : "Que se passe-t-il ? Je fais de la politique, on va vous aider". Et c'est lui qui avait mis le feu !» L'intéressé, un jeune homme enrobé d'allure banale, baisse la tête. Dans la salle, un grondement monte parmi ses autres victimes. Elles sont une vingtaine : celles dont le véhicule a aussi brûlé, celle dont il a été tagué, celle qui a retrouvé des inscriptions injurieuses sur son portail au petit matin.
L'affaire «défie l'entendement», selon les mots du procureur adjoint Emmanuel Dupic. Les six prévenus sont des militants du Front national, résidant en Seine-et-Marne ou dans le Val-d'Oise. Ils sont soupçonnés d'avoir incendié treize voitures dans la nuit du 6 au 7 avril, mais aussi d'avoir commis plusieurs dégradations, le tout sous l'influence de diverses drogues. Quelques jours plus tard, Adrien Desport, 25 ans, candidat suppléant aux dernières départementales de mars, condamnait les incendies dans un communiqué à en-tête du FN. Le jeune homme assurait avoir lui-même aperçu le pyromane, et condamnait une délinquance «de plus en plus présente» dans sa commune. Le voisin indélicat dénoncé par Milo, c'est lui ; il est également soupçonné d'avoir été le principal organisateur des actes délinquants. Outre ceux-ci, il est, avec un autre prévenu, accusé de «dénonciation de délit imaginaire» – en l'occurrence une fausse agression à la bombe lacrymogène le 28 mars dernier.
La plupart des prévenus reconnaissent les faits, sans les expliquer pour le moment et en en minimisant leur implication. Parmi leurs victimes, de simples quidams, mais également… d'autres militants FN. Comme Chantal, qui a retrouvé son portail orné du mot «Pute» et d'une croix gammée. Ou Stéphane Capdet, conseiller municipal à Eragny-sur-Oise, dont la voiture arborait un tag «zone anti-FN». C'est d'ailleurs une enquête interne du FN qui a abouti à l'interpellation des quatre premiers prévenus, lundi à l'aube. Nouvelle responsable des fédérations du parti lepéniste, Nathalie Pigeot a déposé un signalement à la police il y a une quinzaine de jours. Elle avait été alertée par des sources internes des débordements de la petite bande, dont le meneur a aussitôt été suspendu.
«Il voulait tester les gens»
Installés côte à côte dans le box, les jeunes gens semblent désormais étrangers les uns aux autres. Agés de 20 à 25 ans, ils se succèdent au micro : voici Valentin, «mention très bien au bac S», étudiant en médecine. Un garçon BCBG que l'on devine très sûr de lui en d'autres circonstances. Il dit avoir simplement «assisté» aux faits, et avoir brûlé son seul véhicule «sous une certaine pression» : «Une personne nous lie tous, explique-t-il. C'est Monsieur Desport. Il est extrêmement manipulateur et n'hésite pas à mentir.» Puis vient Thomas, le fils de policier, avec sa coupe à l'iroquoise : ce jeune conseiller de vente conteste son implication, mais n'a rien dénoncé «par peur des représailles». Lui succède Benjamin, agent commercial tiré à quatre épingles, trouvé en possession de cannabis et de cocaïne. Il y a aussi Jean-Baptiste, ancien responsable du Front national de la jeunesse dans le Val-d'Oise : un lycéen corpulent, dans une veste en jean siglée AC/DC. Aucun ne fait le fier, tous demandent le renvoi du jugement – «s'il vous plaît», ajoutent-ils à l'adresse du tribunal.
Vient ensuite Nathalie. C'est l'ex-petite amie d'Adrien Desport, et la seule fille du groupe. Elle a l'air timide, les yeux humides. Cette éducatrice canine dit sa «passion pour les chiens de troupeaux» et les stages à la ferme. Elle dit aussi qu'elle n'arrive plus, aujourd'hui, à dormir la nuit. Plus loquace que ses camarades, Nathalie raconte avoir été entraînée dans les faits par Desport, alors qu'elle était «bourrée et défoncée». «Avant que je rencontre cette personne, j'étais très épanouie, je voulais juste me battre pour mes valeurs, assure-t-elle. A l'époque des faits, je ne me reconnaissais plus. Aujourd'hui, je veux juste la paix.» Elle évoque les folles soirées de la bande, et l'emprise de son ex-petit ami sur son entourage : «Il voulait tester les gens. Je venais boire un verre, mais lui tenait mieux la boisson que tout le monde, il fallait toujours prendre plus, de l'alcool et des cachets, contre notre gré.»
«Un manipulateur de première»
Celui que tout le monde charge prend le micro à son tour, et s'affiche contrit. «J'ai admis mes erreurs et complètement collaboré avec la police, assure Desport. Mais quand on est un groupe, on doit assumer en groupe. Je n'ai jamais forcé personne.» A ces mots, Nathalie et Jean-Baptiste échangent un regard ahuri ; le second fond en larmes. «J'ai rompu tous contacts avec les personnes mises en cause, poursuit Desport. Depuis deux mois, en signe de repentance, j'ai adhéré à Transparency International et à l'amicale de la police.» Une police avec laquelle il semble entretenir un rapport bien particulier. Il a souhaité y entrer, mais s'est trouvé barré par une condamnation de 2009 pour usage frauduleux d'un… insigne policier. Et lors de son interpellation, c'est la panoplie complète du pandore que l'on a retrouvé chez lui, du gyrophare aux menottes en passant par la bombe lacrymogène. Enfin, la procureure a évoqué à son sujet un «projet de guet-apens contre des policiers», sans plus de détails. En arrêt maladie depuis onze mois, Desport dit être «suivi par un psychiatre pour une dépression et des crises d'angoisse».
Secrétaire départemental du FN de Seine-et-Marne, Renaud Persson se déclare «abasourdi» par les faits reprochés à son ancien militant. Mais confesse avoir entretenu, de longue date, des rapports compliqués avec celui-ci : «Il était déjà là quand je suis arrivé, en 2011, raconte-t-il. Comme il était actif et demandeur, je lui avais confié pas mal de responsabilités. Il est devenu mon adjoint. Puis je me suis rendu compte qu'il me contestait et me dénigrait dans la presse. A l'automne dernier, je lui ai donc retiré ses responsabilités. C'est un manipulateur de première, qui fait miroiter beaucoup de choses aux gens pour les entraîner à le suivre.»
A l’issue de l’audience, Adrien Desport a été placé en détention provisoire et devrait être soumis à une expertise psychiatrique. Ses cinq anciens amis ont été placés sous contrôle judiciaire, l’audience étant renvoyée au 15 juillet.
(1) Le prénom a été changé.