Le Covid-19 suggère une nature hostile, contre laquelle nous luttons, et un équilibre perdu : mais notre lien à la nature est plus complexe. Pour qui pratique l’écologie et l’évolution, le monde naturel n’a pas plus d’équilibre stable qu’un cycliste sur son vélo ; tout est dynamique ; maintien ou chute sont possibles à chaque instant.
Si la nature nous menace parfois, nous y avons aussi souvent des alliés, comme… des microbes ! Notre microbiote, l’ensemble des microbes de notre peau et de notre intestin, nous défend, aide notre digestion et influe même sur notre humeur ! Des virus qui ont infecté nos ancêtres nous aident maintenant dans la fabrication du placenta ou de notre salive… On ignore trop le caractère contrasté de notre lien à la nature. Nous nous voyons autonomes, libres, au-dessus de la mêlée naturelle, en jardiniers du monde… pourtant, un virus venu moissonner l’humanité nous rappelle ce lien. Cela ne doit pas cacher que la nature peut aussi nous aider.
Au prix de deux alliances : une première avec le monde vivant, conçu comme un outil d’avenir, et une seconde, en nos sociétés, entre les disciplines du savoir. La seconde alliance, c’est l’intégration de l’écologie et de l’évolution dans la formation de tous, pour faire fleurir la première alliance. Sources de taxes ou de contraintes, écologie et évolution restent méconnues comme leviers d’action : en voilà deux exemples, applicables demain.
Une solution simple contre l'effet de serre : mettre nos déchets organiques dans les sols ! En augmentant chaque année de 0,4 % la matière organique dans les sols, on stockerait l'équivalent de nos émissions annuelles de CO2. De plus, cela restaurerait la vie des sols qui, sous l'effet de l'agriculture conventionnelle, manquent de matière organique et en sont malades : ils s'érodent plus, retiennent moins d'eau… La dégradation des sols obligera, d'ici à trente ans, 50 à 700 millions d'individus à migrer ! Un seul geste aiderait contre tout cela.
La lutte contre les microbes peut éviter qu’ils ne deviennent résistants au traitement. Pesticides et antibiotiques sont des victoires à la Pyrrhus, qui sélectionnent les microbes qui y résistent. En France, les résistances aux antibiotiques tuent 12 000 personnes par an ! On sait néanmoins anticiper ces résistances : la pyriculariose, une maladie du riz due à un champignon, détruit l’alimentation de 60 millions de personnes par an, mais en Chine du Sud, l’agriculture traditionnelle la met en échec. Des échanges de graines entre cultivateurs permettent de mêler diverses variétés dans les champs, qui diffèrent chacun du voisin. Un champignon qui réussit ici échouera à côté : la biodiversité génétique fait mur à l’évolution des indésirables.
Les leviers de la nature échappent aux décideurs qui ne voient que la logique interne de la société. Lorsque le virus survint, les premières décisions furent économiques puis politiques, avec des élections ; enfin vint la mère des batailles, avec le confinement. Cette inversion des priorités continuera sans la seconde alliance. Ecosystèmes et climat changés, microbes résistants… les conséquences économiques et politiques suivront. On ne peut être décideur sans écologie ni science de l’évolution, et sans l’alliance de toutes les disciplines Machiavel reste aveugle.
Les médecins ne sont formés ni en science de l’évolution ni en écologie, alors que leurs pratiques affectent l’évolution des microbes et que notre microbiote fait de nous des écosystèmes microbiens. Pour les décideurs, comme pour tout citoyen, l’écologie reconstruirait les implications complexes de nos gestes de consommation. Les agriculteurs gèrent nos écosystèmes, mais sans le savoir, comme Monsieur Jourdain.