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TRIBUNE

Jean Zay reviens vite, ils sont devenus fous !

Liberté pédagogique, instrumentalisation des sciences cognitives, programmes indigestes... Un collectif de personnalités du monde de l’éducation dénonce les effets nocifs des réformes en cours et appelle la gauche à bâtir une alternative pour l'école de la République.
Le ministre de l'Education Jean Zay (1904-1944) en octobre 1938. (Photo AFP)
par Collectif Jean Zay
publié le 29 janvier 2021 à 15h34

Tribune. Notre école va mal. Malgré les efforts et l'engagement de ses personnels, elle demeure inégalitaire, trop inégalitaire. L'architecture du système éducatif est sans cesse démontée et remontée par une frénésie de réformes, surtout depuis trois ans, souvent inefficaces, parfois délétères, aujourd'hui illisibles. Une seule certitude : tout le monde y perd.

La crise sanitaire a ravivé les sentiments contradictoires que nous inspire notre système scolaire et universitaire. Elle a placé au centre des regards l’ouverture ou la fermeture des établissements, a suscité l’expression d’un attachement très fort à l’école républicaine comme les plus vives critiques envers certains de ses fonctionnements.

L’école devrait être une promesse d’égalité sociale et d’émancipation pour tous les enfants. Or elle devient un instrument à formater, à broyer ceux qui n’entrent pas dans le moule au rythme prévu, ou selon les procédures gérées par les algorithmes d’orientation. Voulons-nous que les élèves soient de simple «machines à apprendre» ou à déchiffrer ? Que les étudiants soient renvoyés à leur solitude, sans accompagnement ou conseils, livrés à la responsabilité de «leurs» choix ? Que les chances de réussite soient à ce point dictées par le milieu social ? Est-ce le système scolaire que nous voulons ?

Véritable débat démocratique

Notre école a plus que jamais besoin d’humanité, de justice, d’échanges et de coopération. Certes, nous savons qu’elle ne peut pas créer le progrès social à elle seule, et qu’il faut agir en parallèle sur son environnement : la santé, le logement, l’emploi, la lutte contre la précarité, l’exclusion sociale, tous les racismes et autres discriminations. Mais nous savons aussi qu’il ne peut y avoir ni justice, ni démocratie authentique sans que l’on rende à l’Ecole publique sa place centrale dans la construction d’un projet politique de gauche.

Des générations d’enfants vont devoir faire face à de nombreux bouleversements sanitaires, écologiques, économiques, sociaux, humains. C’est pourquoi il est urgent de permettre à toutes et tous de découvrir ce que sont et comment doivent s’incarner l’intérêt général, la solidarité et le partage. La transmission des connaissances est plus que jamais nécessaire mais à condition qu’elle s’accompagne d’une formation à la lucidité et à l’esprit critique, qu’elle soit animée par le souci constant de former chacune et chacun au véritable débat démocratique.

Tant de défis mettent la République face à ses devoirs : aucun personnel enseignant ne doit être mis devant des élèves sans une solide formation académique, didactique et pédagogique permettant le travail collaboratif, la connaissance du système éducatif et celle du développement des élèves dans toutes ses dimensions, cognitives et émotionnelles, physiques et sociologiques. Aucun personnel de vie scolaire, aucun médecin, aucun psychologue, aucun agent intervenant auprès d’eux ne doit manquer au sein du service public. Et tous doivent pouvoir disposer de temps pour travailler ensemble.

Il faut en finir avec toutes les précarités et privatisations des aides éducatives qui ruinent la qualité du travail. En finir également avec l’entassement de dispositifs et de directives contradictoires émises dans la précipitation ; en finir avec des rythmes scolaires inadaptés, avec des classes surchargées dans des établissements trop grands et mal entretenus ; en finir avec la logique de concurrence et de tri social induite par l’inflation des évaluations, en finir surtout avec une politique qui se réfugie derrière le paravent des restrictions budgétaires pour justifier ses errances.

Education nationale caporalisée

Commençons donc par admettre que toutes celles et ceux qui sont sur le terrain ont quelque chose à dire à ceux qui les dirigent – et non seulement l’inverse – et que les élèves eux-mêmes, ainsi que leurs parents doivent être associés aux réflexions. Ainsi, la première tâche à laquelle devra s’atteler le ou la prochaine ministre de l’Education nationale est la construction d’une réelle démocratie scolaire qui donne aux acteurs et actrices toute leur capacité d’initiative et de réflexion. Alors on verra que les colères actuelles sont nées des erreurs majeures de ces trois dernières années : les faux-semblants des dédoublements de CP, argument publicitaire qui cache des situations diverses et inégalitaires selon les écoles ; la réforme du lycée qui désorganise les établissements et désoriente les élèves ; les programmes indigestes ne laissant plus aucune place ni aux savoirs critiques, ni à la liberté pédagogique ; les instrumentalisations des sciences cognitives dévoyées et transformées en produits de substitution aux approches sociologiques et philosophiques de l’école etc. Hélas, la liste est longue.

Nous avons besoin d’un projet éducatif à long terme, de la maternelle à l’université, solide et stable, échappant aux caprices d’un ministre, à la temporalité politicienne, et garanti par l’existence d’une instance supérieure représentant toutes les forces vives de la société, indépendante, garante de l’acceptation, du suivi et de la continuité des réformes éducatives. Nous appelons donc à ce que l’éducation soit au cœur des échéances électorales à venir et que ceux et celles qui solliciteront nos suffrages nous montrent concrètement comme elle peut relever les défis écologiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés.

Certaines expériences historiques peuvent nous inspirer. Celle du ministère Jean Zay par exemple sous le Front Populaire, ou du plan Langevin Wallon en 1947 malheureusement resté lettre-morte. Les deux plaçaient, au-dessus de tout, la boussole de la démocratisation scolaire. Mobilisons-nous contre les coups portés à une Education nationale caporalisée et vendue à la découpe. Nous créons aujourd’hui le collectif Jean Zay pour bâtir le projet d’une école démocratique, progressiste, laïque, républicaine. Le chemin est long et ce texte n’est qu’un premier pas. Nous invitons toutes celles et ceux qui partagent nos idées à les porter ensemble.

Signataires : Marc Bablet, Inspecteur académique honoraire ; Said Benmouffok Professeur de philosophie, conseiller éducation à la Mairie de Paris ; Pascal Bouchard, Journaliste spécialisé en éducation ; Agathe Cagé, Politiste ; Laurence De Cock, Professeure d'histoire-géographie ; Veronique Decker, Directrice d'école honoraire ; Delphine Guichard, Professeure des écoles, auteure du compte @Charivari à l'école ; Delphine Hammel, Cadre territoriale spécialisée en politiques éducatives ;Patricia Legris, Maitresse de conférence à l'université Rennes 2 : Olivier Loubes, Professeur d'histoire en CPGE ; Philippe Meirieu, Professeur en sciences de l'éducation à l'université Lyon 2 ; Joelle Paris, Responsable FCPE Hauts-de-Seine ; Philippe Watrelot, Professeur de SES, formateur à l'INSPE Sorbonne-Université ; Rachid Zerrouki, Professeur en SEGPA, auteur du compte @Rachid l'instit.

Le Collectif Jean Zay rassemble plusieurs personnalités du monde de l'éducation engagées à construire un projet politique pour l'élection présidentielle de 2022.