Tribune. J'ai eu la chance de rencontrer Gisèle Halimi, un matin d'été. Je lui avais écrit plusieurs fois et un soir un appel de Sandrine, son assistante : «Elle vous donne rendez-vous demain à 11h30.» Je suis arrivée dans son salon, j'étais impressionnée, j'avais lu tous ses livres. Je voulais écrire un spectacle sur le procès de Bobigny, une page qui me semblait marquante de l'histoire des femmes. Un procès où elle avait défendu en 1972 Marie-Claire Chevalier, une adolescente de 16 ans qui avait avorté après un viol et qui risquait la prison. J'espérais qu'elle serait d'accord.
Elle avait 90 ans, elle était belle, avec de très longs cheveux blancs qui encadraient son visage. Elle m'a raconté son existence de combattante, les acquis gagnés en risquant sa vie, les jours de prison, les cercueils qu'elle recevait par la poste. J'ai découvert un féminisme loin de ce qu'on m'avait appris à l'école, des femmes qui avaient des engagements de vie tout à fait héroïques. Elles défiaient la loi, s'organisaient en réseau clandestin pour aider les femmes à avorter, importaient des nouvelles méthodes d'Angleterre, avançaient avec le courage des résistants et dans la solitude des cow-boys. Elle m'a dit, je cite de mémoire : «Quand j'avais 8 ans, je servais mes frères à table. Ma mère trouvait ça normal, la mère de ma mère aussi. Un jour, je n'ai plus pu. C'était à l'intérieur de moi. Une impossibilité. J'ai arrêté de manger. J'ai dit "je préfère me laisser mourir que de continuer à les servir". Au bout d'un certain temps, j'avais beaucoup maigri, mon père a cédé. J'ai su ce jour-là que quand on voulait quelque chose, il fallait s'accrocher.» Elle m'a dit aussi : «Ne baissez pas la garde, jamais, et soyez radicale, on en a besoin dans ce combat si difficile.» Puis pour finir : «Vous avez raison, il faut raconter cette histoire des femmes pour que les générations qui arrivent sachent à quel point ces acquis sont récents, précaires et insuffisants.»
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Elle faisait son métier à partir de la femme qu'elle était. Dans les combats qu'elle choisissait, elle ressentait l'injustice d'une façon viscérale. Elle était à la fois à la barre et dans le box, «dans une identification totale aux accusées», dit-elle dans sa plaidoirie du procès de Bobigny. En ces temps où on cherche à séparer l'homme de son œuvre, elle m'a fait comprendre que, souvent, les femmes n'ont pas ce choix. On travaille avec notre identité de femme, nos avortements, les injustices et les agressions qu'on subit, notre colère.
J'ai écrit la pièce Hors la loi forte de sa confiance et de celle de Marie-Claire Chevalier, dans la lumière de leurs colères.