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TRIBUNE

Loi bioéthique : examiner le statut génétique de l’embryon n’est pas de l’eugénisme

En deuxième lecture cette semaine à l’Assemblée, le projet de loi bioéthique devrait autoriser le diagnostic préimplantatoire des embryons. Loin de l’eugénisme dont on le taxe parfois, il constituerait une avancée dans l’aide à la procréation.
Poche amniotique contenant un embryon humain à la dixième semaine de fécondation. (Photo Luisa Ricciarini. Leemage)
par Catherine Rongières, cheffe du service clinico-biologique d’assistance médicale à la procréation CHRU Strasbourg et Estelle Naudin, professeure à la faculté de droit de Strasbourg
publié le 27 juillet 2020 à 17h21

Tribune. Si l'ouverture de la procréation médicalement assistée au-delà des couples hétérosexuels figure dans les mesures les plus médiatisées de la révision de la loi de bioéthique, il est d'autres sujets d'une portée considérable pour la pratique française de la médecine reproductive. L'introduction du diagnostic préimplantatoire des embryons aneuploïdes (dit «DPI-A») fait ainsi l'objet d'une discussion parlementaire, toujours en cours, dont l'enjeu n'est pas mince : permettre aux médecins de proposer aux patients infertiles les techniques existantes à même d'améliorer la prise en charge de leur pathologie, alors même que les taux de réussite des fécondations in vitro paraissent médiocres dans un pays hier pionnier en la matière.

Le diagnostic préimplantatoire consiste, de manière générale, à étudier des cellules prélevées sur un embryon pour en déterminer le statut génétique. Il n’est pratiqué actuellement en France qu’avec une seule finalité : rechercher une anomalie génétique connue dans la famille, dans le but de ne transférer que des embryons qui ne développeront pas la maladie recherchée, telle que la mucoviscidose, la neurofibromatose, ou une translocation. Seule la pathologie dûment déterminée dans la famille a ainsi le droit d’être recherchée. Le DPI-A, qui n’est pas autorisé en France à ce jour, a un autre objectif. Il détermine les anomalies chromosomiques qui se sont constituées de façon aléatoire à la création de l’embryon, et qui ne sont donc pas transmises par les parents. Ces anomalies sont notamment plus fréquentes lorsque l’âge de la femme augmente, en particulier après 35 ans. Elles conduisent le plus souvent à ce que l’embryon ne soit pas viable, son transfert ne permettant pas d’obtenir une grossesse ou conduisant à une fausse couche. Le DPI-A concernerait donc davantage de couples, et bénéficierait à ceux qui ont été confrontés à des échecs répétés dans un parcours d’assistance médicale à la procréation.

Les débats en séance publique ont, pour l'heure, conduit à balayer d'un trait ce qui serait une avancée pour la pratique de l'assistance médicale à la procréation, ou peut-être plus exactement une mise à niveau s'agissant d'une technique proposée dans bon nombre de pays européens. C'est que le mot a été lâché. Le législateur, en autorisant ce diagnostic, prendrait la voie de l'eugénisme. Il ne saurait laisser cette technique fondée sur l'étude du génome entre les mains des médecins engagés auprès des patients infertiles, effectuant un tri d'embryons sur des critères qui échapperaient à tout contrôle («il ne faut pas trop laisser le pouvoir à la science», avait-il été observé au cours des débats au Sénat en janvier dernier, observation qui n'était plus guère dans l'air du temps quelques semaines plus tard face à une pandémie mondiale…). Outre que le propos soit assez insultant à l'égard des spécialistes de la médecine reproductive, dont on n'a jamais constaté aucune dérive en France, les arguments avancés ne peuvent que laisser perplexe.

En dépit des travaux menés depuis plus de deux ans sur le sujet, en dépit de l’avis favorable des sociétés savantes de biologie et médecine de la reproduction et cytogénétique, en dépit des multiples auditions menées en commission, le DPI-A est faussement présenté dans ce débat comme une technique ayant pour finalité d’écarter les embryons porteurs de la trisomie 21. Introduire le DPI-A en France serait donc une façon d’«éradiquer» (terme épouvantable s’il en est !) les individus atteints par cette maladie. Et l’un de nos sénateurs d’en appeler à la mémoire de la fille du général de Gaulle, par un mouvement compassionnel dont on aimerait voir animés ces mêmes élus lorsqu’il s’agit d’assurer l’accompagnement effectif des familles d’enfants handicapés.

On s’étonne d’autant plus de l’argument qu’il existe en France un dépistage de la trisomie 21 proposé systématiquement à toute femme enceinte au premier trimestre de la grossesse, et qui lui permet de demander une interruption médicale de grossesse, autorisée par la loi et prise en charge par la Sécurité sociale. Alors pourquoi refuser avant la grossesse ce qui est autorisé au cours de la grossesse ? Le raisonnement est d’autant plus contestable que la majorité des aneuploïdies détectées ne seront pas des trisomies 21, mais bien d’autres anomalies non viables pour la plupart.

Plus encore, l’argument de l’eugénisme, brandi comme un épouvantail, ne peut ici que choquer, tant les mots ont un sens. L’eugénisme d’hier était collectif et coercitif, reposant sur un désir de purification ou d’amélioration de la race humaine qui ont justifié des politiques raciales, autoritaires et meurtrières. Est aujourd’hui invoqué un «nouvel eugénisme», décrit comme plus individuel et libéral, lié à une génétique médicale moderne. En la matière, ce spectre de la sélection, visant, pour faire court, un enfant parfait alliant beauté, intelligence, santé et longévité, n’a aucun sens. Le DPI-A n’est là ni pour sélectionner les «meilleurs» ni pour éliminer les plus «mauvais» embryons. Son rôle premier est d’éviter de transférer des embryons qui ne se développeront pas jusqu’à un terme viable. Il évite aux femmes, aux couples, la violence d’échecs à répétition liés à une anomalie chromosomique, dans un parcours d’assistance médicale à la procréation long et douloureux. Ce n’est que dans un second rôle qu’il pourra aussi mettre en évidence des anomalies, qui sont de toute façon recherchées en début de grossesse par le diagnostic prénatal légal, autorisé et organisé. Sur un sujet aussi sérieux et lourd de conséquences, le niveau du débat parlementaire doit maintenant être à la hauteur.