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Elections

Législatives anticipées au Japon : empêtré dans des scandales, le parti au pouvoir sanctionné par les électeurs

La claque électorale dimanche 27 octobre du Parti libéral-démocrate du Premier ministre Shigeru Ishiba, qui avait convoqué des législatives anticipées moins d’un mois après son arrivée, témoigne des déboires d’une formation hégémonique rattrapée par ses démons.
Les membres du collectif ont investi une partie des lieux le 31 octobre. (© AFP François Guillot/© AFP François Guillot)
par Damien Herpe, Chef de produit et Florian de la Loire
publié le 28 octobre 2024 à 14h14

Il fut un temps récent où le très droitier Parti libéral-démocrate (PLD) semblait invincible. C’était entre 2012 et 2020, sous l’ex-Premier ministre Shinzo Abe assassiné en 2022. Depuis sa disparition, tout va de mal en pis au fur et à mesure que s’ouvre la boîte de Pandore pleine de ce que cette toute-puissance cachait : un soutien négocié de la secte Moon – une organisation mafieuse –, des circuits financiers douteux, des caisses noires. Le deuxième successeur d’Abe au poste de Premier ministre, Fumio Kishida (2021-2024), a bien tenté de conjurer le mauvais sort et les révélations négatives incessantes, en vain. Il a renoncé à se représenter à la tête de son parti, laissant la place le 1er octobre à celui qui était vu comme le «monsieur propre, monsieur ordre» du PLD, «un opposant interne» à Abe et sa cour, Shigeru Ishiba. Ce dimanche 27 octobre lors de législatives qu’il a lui-même convoquées, la stratégie a échoué.

«La population a clairement dit au PLD : « Mais qu’est-ce que vous trafiquez, bon sang, vous ne vous remettez pas en cause. » Le parti pensait enjamber le scandale de fonds dissimulés et croyait peut-être qu’en changeant de président cela allait suffire. Eh bien la réponse est non, les citoyens ne sont pas dupes», décrypte l’éditorialiste et universitaire Masahiko Isae.

D’autant que Shigeru Ishiba, qui jouissait pourtant d’une bonne popularité avant de prendre la tête de l’exécutif, a chuté dans les sondages à peine franchi le seuil du Kantei, le QG du chef du gouvernement. Il s’est pris les pieds dans le tapis, poussé dans le dos par un entourage qui l’a incité à dissoudre illico la chambre des députés, provoquant des législatives bien trop anticipées. «Les structures du Parti pensaient initialement que son rival, Shinjiro Koizumi, serait élu président du PLD et Premier ministre, et comme ce dernier avait promis durant la campagne de dissoudre rapidement, le calendrier était déjà fixé», raconte Kenji Goto, un briscard du journalisme politique japonais depuis plus de quarante ans. «Ishiba a dû se plier à cet échéancier malgré lui», et ainsi renier d’entrée de jeu ses promesses de prendre le temps de débattre afin de donner matière aux citoyens d’évaluer sa politique avant d’aller aux urnes.

Face au PLD, qui avec 191 sièges sur 465, demeure quand même le premier parti – aidé en sus par son partenaire de longue date, le Komeito –, les forces d’opposition auront du mal à s’entendre pour former un bloc cohérent susceptible de prendre la tête du pays. Elles vont du Parti communiste à l’inclassable semi-conservateur Parti de l’innovation (Ishin), en passant par le Parti démocrate constitutionnel (PDC, 148 sièges) au centre gauche. Elles auront encore plus de mal à répondre à un peuple qui réclame plus de revenus, de redistribution, de pouvoir d’achat, d’aides, qui s’inquiète de la tournure des relations internationales poussant le Japon à d’avantage s’allier aux Etats-Unis et s’armer plus.

La plupart des petits partis d’opposition ont juré avant le scrutin que le PLD avait tout faux et rien en commun avec eux. Maintenant qu’ils sont en position d’arbitres, vont-ils, pour certains politiquement pas si éloignés, négocier leur soutien en échange de maroquins ? «Nous aurons des discussions avec les autres partis et les appelons à coopérer», ont immédiatement indiqué les pontes du PLD. Et le Premier ministre de se montrer pragmatique, quitte à déplaire à la franche la plus à droite du parti : «Nous allons analyser les résultats. D’autres partis ont gagné des sièges, nous devons étudier les politiques qu’ils proposent. Et s’il faut les inclure, parce que les citoyens les réclament, nous les inclurons.»

Il s’agit désormais aussi pour Ishiba de conserver son poste de Premier ministre lors d’un vote à venir dans chacune des deux chambres de la Diète (le Parlement), un double scrutin qui, pour une fois, ne sera pas joué avant d’avoir débuté.