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Ibrahim Maalouf accusé d'agression sexuelle : pourquoi a-t-il été relaxé ?

Dans un communiqué, le trompettiste se félicite d'avoir été innocenté par la cour d'appel de Paris. L'avocat des parties civiles estime, lui, que c'est une «relaxe au bénéfice du doute».
Ibrahim Maalouf au Nice Jazz Festival, le 20 juillet 2019. (VALERY HACHE/Photo Valery Hache. AFP)
publié le 29 juillet 2020 à 13h25

Question posée le 25/07/2020

Bonjour,

La cour d'appel de Paris a rendu, le 8 juillet, un arrêt relaxant le musicien Ibrahim Maalouf. Fin 2018, il avait été condamné en première instance par le tribunal de Créteil à quatre mois de prison avec sursis et à 20 000 euros d'amende pour agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans.

Les faits se sont déroulés au mois de décembre 2013, lorsque Léa (1), 14 ans, originaire de Sète (Hérault), effectue son stage de troisième dans la société de production d’Ibrahim Maalouf à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). La justice s’est penchée sur un baiser entre l’homme et l’adolescente – reconnu par les deux parties – ainsi que sur un deuxième baiser et des attouchements, démentis par Maalouf. Restent, par ailleurs, des SMS échangés à la suite du stage de Léa, dont la teneur est discutée par les deux camps, mais sur lesquels la justice n’était pas saisie.

Un an après ce stage, le père de Léa et son médecin généraliste se manifestent auprès du procureur de Montpellier, qui confie l'enquête préliminaire au commissariat de Sète. L'adolescente est auditionnée plus de deux ans après les faits, début 2016. Le dossier est transmis au parquet de Créteil en octobre de la même année. Ibrahim Maalouf est placé en garde à vue en janvier 2017, et quelques semaines plus tard, le Parisien révèle l'affaire (dans un article aujourd'hui supprimé, relève Arrêt sur images). Condamné en première instance, il a donc été relaxé en appel début juillet.

Relaxé ou innocenté

Vous nous interrogez sur le communiqué publié par Ibrahim Maalouf le 25 juillet, dans lequel le trompettiste se félicite : «Le 8 juillet 2020, la Cour d'appel de Paris a rendu son verdict (sic) définitif et m'a enfin innocenté après 3 ans et demi d'enfer.» Indigné de l'absence de journalistes au moment de l'audience, Ibrahim Maalouf écrit : «L'adolescente a menti, ses parents l'ont crue, la presse en a parlé en gonflant l'histoire, tout le monde en a souffert et 3 ans et demi plus tard, la justice a simplement fait son travail.»

Plus précisément, vous souhaitez savoir si l'homme a été relaxé «au bénéfice du doute» ou s'il a «fait la preuve de son innocence, comme il le prétend». L'avocat des parties civiles, Me Jean-Baptiste Moquet, estime que «sans le dire, cette relaxe s'est faite au bénéfice du doute, puisque la cour d'appel, contrairement au tribunal, estime ne pas disposer d'éléments suffisants pour forger sa conviction». L'avocate de la défense, Fanny Colin, objecte que la formule «bénéfice du doute» ne figure pas dans l'arrêt, et qu'en l'occurrence, «quand on est relaxé, on est innocenté».

Un magistrat fait remarquer à CheckNews que cette expression, «de moins en moins utilisée» dans les décisions, n'a de toute façon «pas de signification juridique».

Il n'y a pas eu de pourvoi en cassation (ni de la part du parquet, ni des parties civiles). Par conséquent, l'arrêt de la cour d'appel consulté par CheckNews vient clôturer la procédure juridique.

Un baiser reconnu

Le premier fait jugé est un baiser entre la collégienne et le trentenaire, le 11 décembre 2013 au soir. Il a été reconnu par Ibrahim Maalouf lors de sa garde à vue début 2017, au cours de laquelle «il précisait qu'il n'avait pas particulièrement initié ce baiser, qu'il présentait comme un acte d'initiative partagée, rapporte l'arrêt de la cour d'appel. Il expliquait avoir pris peur, avoir senti qu'il avait dépassé une limite et avoir mis fin à tout contact physique avec la jeune fille. Il précisait que Léa avait un corps de femme et qu'elle l'avait troublé par son regard». Au cours de la garde à vue, le musicien déclarait également, au sujet de cette scène : «Ma réflexion est qu'on ne devient pas pédophile directement, qu'il y a plusieurs étapes. Je pense qu'inconsciemment, j'ai franchi la première étape dans un moment d'égarement.»

Pour la défense, ces mots ont été mis dans la bouche du trompettiste par les policiers au cours de l'audition, en l'absence de son avocat. Ibrahim Maalouf estimait ainsi, par la suite, lors du procès en première instance, que «beaucoup de choses n'étaient pas correctes dans sa déclaration faite aux officiers de police judiciaire, car ceux-ci lui demandaient de reconnaître les faits afin de ne pas aggraver l'état de Léa [l'adolescente souffrant alors notamment de dépression], lit-on dans l'arrêt de la cour d'appel. Selon Ibrahim Maalouf, les enquêteurs faisaient des résumés de tout ce qu'il disait, et des associations d'idées de ses propos. Il avait signé les dépositions pour en finir avec cette histoire.»

Ainsi, lors de l'audience en appel en juin, le musicien reconnaissait, comme il l'avait fait en première instance, «un unique baiser sur la bouche, à l'initiative de Léa», relève la cour, qui s'étend par ailleurs sur l'admiration de l'ado pour la star. Arguant de la petite taille de sa cliente, l'avocat des parties civiles conteste fermement cette version : «Sur la pointe des pieds, elle pouvait, au mieux, arriver à 5 centimètres en dessous de sa bouche, indique-t-il à CheckNews. Il a donc fallu qu'Ibrahim Maalouf y mette du sien pour qu'il y ait un baiser.»

La cour note qu'«il est communément admis par la chambre criminelle qu'un simple baiser sur la bouche peut être constitutif d'une agression sexuelle, et que de l'âge de la victime peut être déduite la contrainte nécessaire à la caractérisation du délit». Toutefois, les juges ont tranché de la manière suivante : le baiser est réel, mais «l'intention coupable d'Ibrahim Maalouf fait défaut, faute d'éléments permettant d'affirmer avec certitude qu'il en aurait été l'initiateur».

Un attouchement non démontré

Deuxième élément sur lequel les juges se sont prononcés : un second baiser et surtout des attouchements qu'Ibrahim Maalouf aurait infligés à la collégienne. Voici (selon les termes de l'arrêt) comment elle les décrivait, lors de sa première audition par la police, début 2016, plus de deux ans après les faits allégués : «Elle se trouvait dans le studio d'enregistrement, Ibrahim Maalouf l'avait de nouveau embrassée langoureusement après qu'ils se furent mutuellement dit qu'ils avaient apprécié leur premier baiser. Il lui avait ensuite mis une main sur les fesses, l'insérant dans la poche arrière de son pantalon, puis sous son tee-shirt sans la toucher. Il s'était positionné derrière elle, lui avait attrapé le bassin, et avait mimé un acte sexuel en posant ses mains sur ses hanches et en l'entraînant vers lui.»

Ibrahim Maalouf a toujours nié l’existence de cette scène. Sa défense s’appuie aussi sur le fait que Léa l’a d’abord datée du jeudi 12 décembre 2013, puis du vendredi 13. Et qu’elle assure que l’enfant de l’artiste était présente, alors que l’assistante du musicien à l’époque affirme, elle, ne pas l’avoir vue au studio au cours du stage de l’adolescente.

«Ma cliente a hésité une fois, au cours de sa première audition, sur le fait que cela a eu lieu le jeudi ou le vendredi, répond l'avocat de la partie civile à CheckNews. Ensuite, elle a maintenu que c'était le vendredi. Quant au fait que l'assistante d'Ibrahim Maalouf n'ait pas vu sa fille présente lors de ces faits, c'est peut-être parce que la scène s'est déroulée juste après le déjeuner, à une heure où elle n'était pas encore revenue.»

La cour d'appel a, pour sa part, jugé ces faits «peu crédibles». Elle s'appuie principalement, pour arriver à cette conclusion, sur le témoignage de l'ancienne assistante d'Ibrahim Maalouf, sur la disposition du studio (où la promiscuité est de mise), sur un extrait du journal intime de Léa (où elle a représenté une scène de baiser dans le studio mais aucun attouchement), ainsi que sur les hésitations sur la date ou le manque de précision dans ses accusations.

«Sa vérité n’est pas partagée par la cour»

Dans son communiqué de presse, Ibrahim Maalouf a choisi de reproduire les lignes suivantes, qui résument la position de la cour sur cette scène : «A ces accusations non corroborées par les éléments du dossier, la cour ne trouve que deux explications : [soit] les pensées fantasmatiques de Léa qui, amoureuse de son idole, espérait susciter plus d'attention de sa part, comme elle l'a du reste exprimé devant l'expert psychiatre […] ; [soit] le poids des révélations faites à l'autorité judiciaire par ses parents à l'égard desquels elle a pu se trouver prise dans un conflit de loyauté, alors que devant [son médecin généraliste] elle n'avait en réalité révélé aucun fait de cette nature.»

Notons qu'au sujet des «pensées fantasmatiques» de l'adolescente, Ibrahim Maalouf n'a pas reproduit les propos qu'elle avait tenus devant le psychiatre. La Cour d'appel les consigne ainsi : «De mon côté, j'étais fière qu'il m'embrasse, je le suis toujours, mais je lui reproche de m'avoir manipulée en me faisant croire en son amour alors qu'il avait d'autres conquêtes.»

Sur le deuxième point, le communiqué de l'artiste ne reproduit pas non plus l'entièreté du propos de la cour. Celle-ci remarque en effet la possible dissonance des versions de la scène racontées par Léa : entre celle livrée à son médecin en 2014 – elle acquiesce quand on lui demande si Ibrahim Maalouf a touché ses seins et «en bas» – et celle donnée en 2016 lors de sa première audition, où elle évoque explicitement une main dans la poche arrière de son pantalon et sous son tee-shirt (mais sans contact avec son sexe et sa poitrine).

Le trompettiste déduit, à l'égard des écrits de la cour, que la jeune fille a menti. Les juges concluent pourtant : «La preuve matérielle des faits qui seraient survenus le 12 ou le 13 décembre 2013 dans le sous-sol du studio d'enregistrement n'est pas rapportée, ce qui ne signifie pas que Léa a menti, mais que sa vérité n'est pas partagée par la cour, en l'absence d'éléments suffisamment pertinents, précis et concordants.»

SMS litigieux

Reste tout un pan de l'affaire, qui ne faisait pas partie des faits jugés (et que l'artiste n'évoque pas dans son communiqué). En effet, l'histoire a commencé quand les parents de Léa ont, juste après son stage fin 2013, découvert des SMS que s'échangeaient la collégienne et Ibrahim Maalouf. Des messages «dans lesquels il lui avait demandé à plusieurs reprises une photographie d'elle sexy, qu'elle ne lui avait pas envoyée, décrit l'arrêt à partir de la première audition par la police de la jeune fille. Il lui avait dit que c'était le genre de choses que les nombreuses filles qu'il avait séduites faisaient, ce qui l'avait profondément blessée, car elle pensait être "spéciale" à ses yeux. Il lui avait demandé d'effacer leurs messages et de ne pas en parler. Elle s'était exécutée et confirmait que ses parents n'avaient donc vu qu'une partie de ces messages.»

Au sujet des messages qu'ils ont pu consulter, la cour rapporte les déclarations du père lors de son audition : «De mémoire, très clairement, il lui demandait de lui envoyer des photos d'elle nue. Il dédramatisait le truc en le faisant passer pour un jeu entre adultes.» Quant à la mère de Léa, elle abondait : «Il vantait le corps de ma fille», et insistait pour avoir «une photo de [son] corps». Enfin, une amie «témoignait avoir vu un SMS d'Ibrahim Maalouf adressé à Léa dans lequel il disait qu'il l'aimait et qu'il voulait la revoir», relève l'arrêt.

Mais de fait, «aucun extrait de ces messages n'était retrouvé» par la justice, lit-on dans cette décision.

Reste ce SMS qu'a envoyé le trompettiste au père de Léa. Ce dernier, après qu'il a pris connaissance d'une partie des échanges par texto entre sa fille et Ibrahim Maalouf, à la fin de l'année 2013, l'a en effet contacté. Après une conversation téléphonique entre les deux hommes, l'artiste lui écrivait un message, versé à la procédure : «Monsieur. En cette soirée de Noël je regarde ma petite fille et j'ai honte d'avoir été faible avec Léa. Je n'aurais pas dû laisser ma faiblesse atteindre sa jeunesse. Je suis presque soulagé d'en avoir parlé avec vous… Même s'il ne s'est rien passé d'irréversible je me sens coupable de ne pas avoir été à la hauteur de ma mission avec Léa. J'enseigne depuis que j'ai l'âge de 17 ans en parallèle de mes études et aujourd'hui de mon métier de musicien. J'ai eu à travailler avec des jeunes de 6 à 29 ans. Je n'ai jamais une seule fois eu d'attitude ambiguë avec quiconque de mes élèves et je fais au contraire partie de ceux qui savent qu'une distance émotionnelle est nécessaire entre le prof et l'élève. Je n'arrive toujours pas à réaliser que j'ai vraiment répondu ce que j'ai répondu à Léa. Son envie et son besoin de me plaire ainsi que le manque d'humanité des SMS ont fait voler en éclats tous mes principes. Ça n'arrivera plus. Quand je regarde [ma fille] je me dis que je n'aurais certainement pas réagi avec autant de philosophie si j'avais été à votre place, et je réalise d'autant plus la chance que j'ai eue, que ce soit des parents comme vous qui m'ont fait confiance. Et cela me chagrine d'autant plus… Je ferais évidemment tout ce qui est possible pour gérer le mal qui a été fait. Léa saura quelle a été ma responsabilité, et comprendra qu'elle n'y est pour rien. Je tâcherai également de pas appuyer sur les erreurs pour ne pas gâcher le plaisir qu'elle porte à la musique. La musique est toute ma vie, et me dire que j'ai pu à un moment mettre en péril l'amour que porte un enfant a la musique, et qui plus est à la mienne, avec une attitude nauséabonde, fait de mon Noël le pire de tous. Mais ça c'est secondaire. Je vous prie de m'excuser autant que possible. J'attends votre retour sur ce que vous attendez de moi. Pardon.»

Couleur du dossier

Ibrahim Maalouf a pour sa part, dès sa garde à vue, contesté avoir demandé des photographies de l'adolescente dénudée, et assuré ne jamais lui avoir demandé d'effacer quelque message que ce soit. Assurant que ses excuses auprès du père de Léa seraient liées à des «messages durs» qu'il aurait envoyés à l'adolescente pour essayer de l'éloigner. Comment s'y est-il pris ? «Il lui aurait signifié que les femmes avec qui il sortait faisaient des "trucs d'adulte", comme lui envoyer des photos "sexy", ce qu'elle ne pouvait faire parce qu'elle était trop jeune», relève la cour, s'appuyant sur les propos de l'homme en garde à vue.

«A l'instar [des parents de Léa], la cour ne peut que considérer qu'il était inadapté d'échanger avec une jeune fille de 14 ans sur ce que peuvent faire les adultes entre eux ("des trucs d'adultes") et qu'il était tout aussi déplacé de parler à Léa de son corps et d'évoquer des échanges de photos "sexy" ou "nue", que ce soit d'elle, ou des femmes avec lesquelles il entretenait des relations, ce qui ne pouvait, quel que soit le cas de figure, qu'inciter Léa à adopter les mêmes comportements, pour plaire à celui qu'elle considérait comme son idole, quand bien même celle-ci n'a pas donné suite a ces messages», assène l'arrêt. Cependant, «la saisine de la cour est limitée aux faits d'agression sexuelle sur mineur de 15 ans visés dans l'acte de poursuite (le baiser du 11 décembre 2013, le second baiser et les attouchements du 12 ou 13 décembre 2013)», écrivent les juges, qui concluent que les messages «susceptibles d'être qualifiés de tentative de corruption de mineur, n'entrent pas dans le champ des poursuites […]».

A ce propos, le magistrat cité plus haut fait remarquer qu'il arrive que des juges se prononcent sur des faits périphériques au périmètre de la saisine (pouvant éventuellement regretter de ne pas en avoir été saisis). Il décrypte : «Leurs remarques sur ces faits n'ont pas d'implications juridiques, mais sont souvent faites dans un souci explicatif, pour colorer un dossier et en décrire l'ambiance.»

Edit à 16h55 : retrait de la mention d'un éventuel changement de téléphone de la part de l'adolescente, qui aurait empêché de retrouver les textos.

(1) Le prénom a été modifié.