Question posée par Fatima le 25/07/2020
Bonjour,
Vous faites référence aux accusations d’agressions sexuelles à l’encontre d’Adama Traoré, mort en juillet 2016 lors de son interpellation par les gendarmes. En mai 2016, une plainte avait été déposée contre lui par son ancien codétenu, qui l’accusait de l’avoir contraint à lui prodiguer des fellations. Les deux hommes avaient partagé la même cellule à la prison d’Osny (Val d'Oise), entre fin 2015 et début 2016.
Adama Traoré étant mort quelques semaines plus tard, l’affaire ne pourra jamais être jugée. En septembre 2016, l’extinction de l’action publique avait été établie par le procureur de la République.
Pourquoi en reparle-t-on aujourd'hui ? Car la victime avait saisi, en décembre 2018, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi) de Pontoise pour obtenir indemnisation de son préjudice. Et la décision de la commission, à ce sujet, vient d'être communiquée par voie de presse, le 22 juillet. Le Point, puis l'AFP, ont, en effet, révélé que la Civi avait décidé d'octroyer une indemnité de 28 793 euros, couvrant à la fois les allégations d'agressions sexuelles et son passage à tabac. En février 2017, le jeune homme avait en effet également été victime d'une expédition punitive, mettant en cause l'un des frères d'Adama Traoré, Yacouba. Ce dernier a été condamné pour ces faits, en mars 2017, à 18 mois de prison ferme, par le tribunal de grande instance de Pontoise.
Dans sa décision rendue le 12 mars, communiquée par le Point et confirmée par le parquet de Pontoise à l'AFP, la Civi indique que «la matérialité des infractions d'agressions sexuelles dénoncées doit être considérée comme établie».
«La Civi n’est pas compétente pour établir de jugement»
Est-ce suffisant pour conclure qu'Adama Traoré, qui n'a jamais été entendu par la justice dans cette affaire, est coupable d'agression sexuelle sur son ex-codétenu, comme l'ont fait plusieurs centaines d'internautes sur Twitter autour du hashtag #AdamaLeVioleur ? Contacté par CheckNews, Stéphane Babonneau, avocat pénaliste qui travaille régulièrement sur des dossiers d'indemnisation auprès de la Civi, répond : «La seule juridiction qui peut le déclarer coupable, c'est un tribunal judiciaire.» Un magistrat confirme à CheckNews : «La Civi n'est pas compétente pour établir de jugement. Une indemnisation de la Civi ne vaut donc pas condamnation, de la même manière qu'une condamnation n'entraîne pas toujours une indemnisation de la part de la Civi.» Le Fonds de garantie des victimes (à qui il revient ensuite d'indemniser la victime) a de son côté précisé à la presse : «Il s'agit d'une procédure à laquelle l'auteur présumé des faits n'est pas partie. Seul le juge pénal est compétent pour le déclarer, le cas échéant, coupable.»
Quel est le rôle, au juste, de la Civi, et que dit sa décision dans cette affaire ? La commission d’indemnisation est présente dans chaque tribunal judiciaire. Elle est autonome et a pour charge de déterminer l’octroi, ou non, d’une indemnisation financière aux victimes d’infractions pénales, même en l’absence d’une décision de justice sur le fond.
«Il arrive très souvent que la personne reconnue coupable [au pénal], condamnée entre autres à verser des indemnités soit insolvable ou qu'on ne la retrouve jamais. Dans ce cas-là, la Civi peut permettre à la victime d'être indemnisée», détaille Stéphane Babonneau à CheckNews. Autre cas : le procès au pénal n'a pas eu lieu car l'auteur présumé des faits est décédé ou n'a pas été identifié.
Demande d’indemnisation
Dans ces cas-là, pour être indemnisée, la victime devra formuler une demande auprès de la Civi en détaillant les circonstances de l'infraction, la nature du dommage dont elle demande réparation (en précisant notamment si ce fait a entraîné une incapacité totale ou temporaire de travail), les conséquences du dommage, et le montant de la demande.
C’est sur la base des documents fournis par la victime que la Civi détermine si, oui ou non, cette demande d’indemnisation est légitime. Seuls ces documents permettent de prendre cette décision. Aucun acte d’enquête n’a lieu. Cette demande doit être faite dans les trois ans suivant la date de l’infraction s’il n’y a pas, ou pas encore eu de procès, ou s’il y a déjà eu un procès, dans l’année à partir de la décision définitive rendue par un tribunal pénal.
Dans le cas de la plainte contre Adama Traoré, la victime a donc saisi la Civi pour obtenir une réparation qu'elle n'aurait pu obtenir par la voie judiciaire classique, du fait de son décès. C'est donc sur la base des documents fournis par Steven B., 23 ans au moment des faits, que la commission a estimé que «la matérialité des infractions d'agressions sexuelles dénoncées doit être considérée comme établie». Parmi ces documents, selon le Point, une lettre qu'aurait remise Steven B. aux surveillants au moment des faits présumés.
Dans celle-ci, toujours selon l'hebdomadaire, il aurait évoqué les faits «de façon particulièrement circonstanciée lors d'un entretien avec un chef de détention, ajoutant qu'il avait déconseillé à sa mère de dénoncer les faits par peur de représailles». CheckNews n'a pas pu avoir accès au dossier et à la décision de la Civi.
«Criminaliser une victime»
Dans un communiqué transmis à la presse, l'avocat de la famille Traoré, Maître Yassine Bouzrou, a réagi à cette nouvelle : «Il faut être totalement ignorant en matière juridique ou mal intentionné pour affirmer qu'une commission d'indemnisation peut se substituer à un juge pénal, lequel est le seul compétent pour déclarer une culpabilité.» Ajoutant : «Le seul objectif est de criminaliser une victime dans une affaire de violences, émanant des forces de l'ordre, ayant entraîné la mort.»
De son côté, Assa Traoré, dans une vidéo publiée sur Twitter, a affirmé qu'elle allait porter plainte contre un journaliste de l'AFP, qu'elle accuse d'avoir titré «Adama Traoré: la justice indemnise son ancien codétenu pour violences sexuelles "avérées"», ainsi que contre la directrice du Fonds de garantie des victimes de terrorisme et autres infractions (FGTI), Nathalie Faussat.
Cordialement