Si le succès phénoménal du documentaire Hold-up a relancé le débat sur le complotisme, il n’est pas sûr que ce soit dans les meilleures conditions. On a analysé mille fois les procédés utilisés par les partisans du complot : mettre quelques vérités factuelles au service d’interprétations invérifiables, exploiter chaque contradiction des discours officiels pour les invalider, placer une intention dans les bégaiements du sens, soumettre les faits à une herméneutique paranoïaque du soupçon. Hold-up remplit toutes ces cases, sans échapper lui-même aux contradictions qu’il dénonce. C’est ainsi que le Covid-19 est présenté tour à tour comme un virus fabriqué par l’Institut Pasteur, comme une maladie destinée à débarrasser le capitalisme en crise d’une multitude de pauvres surnuméraires et comme une grippette sans importance qui ne réclame l’adoption d’aucune mesure.
Affirmation à vérifier
testing reviewed
Conclusion
Testing name
L’exercice est presque trop facile qui consiste à dénoncer ce mélange de tout et de n’importe quoi qui surfe sur la défiance à l’égard des autorités et, ce qui est sans doute plus grave, sur l’idée que la vérité n’est vraie que lorsqu’elle est volontairement cachée. Mais le pire service rendu par ce documentaire est de ne laisser aucune chance au doute, c’est-à-dire au premier pas vers une critique sensée. Le principal problème des théories du complot est qu’elles sont des «théories», c’est-à-dire des tentatives d’explication totale d’un phénomène donné. Que des stratégies existent, et que pour réussir elles doivent demeurer tues, qui pourrait le nier ? Le terme «complot» n’est pas, en lui-même, un gros mot. Après tout, nous «complotons» tous plus ou moins, et de manière presque quotidienne, s’il faut entendre par ce terme une intention déclarée à certains et cachée à d’autres dans le but de parvenir à un résultat. Le mari ou la femme adultère, le mari ou la femme jaloux, les salariés qui rusent avec leurs patrons et les patrons qui exploitent leurs salariés se gardent bien de dire toute la vérité. Au besoin, ils en inventent une pour parvenir à leurs fins. C’est vrai de l’intime, de la vie professionnelle comme du pouvoir politique. On pourrait d’ailleurs se demander ce que serait un monde où les intentions de tous seraient toujours transparentes.
La vie est pleine de stratégies qui la rendent sans doute un peu fausse, mais aussi intéressante. Quel plaisir aurait-on à regarder des séries si les personnages qui y agissent ne cherchaient ni à tromper les autres ni à trouver des complices ? Dans l’une d’entre elles (House of Cards), un futur président des Etats-Unis va jusqu’à jeter sur les rails du métro une journaliste un peu trop gênante. Même le réalisateur de Hold-up n’aurait pas pensé à une telle intrigue devenue pourtant l’ordinaire de nos joies de spectateurs.
C’est comme théorie que le complot devient absurde et contre-productif. Absurde, car il nie la vérité de tout ce qui se dit, mais au nom d’une conception absolue et dogmatique du vrai. «Tout est faux, je vais d’ailleurs vous prouver que cette affirmation est vraie» : telle est la contradiction dans laquelle se meut le complotiste. Elle rappelle le paradoxe d’Epiménide le Crétois qui demandait à être cru quand il disait qu’il mentait toujours. Le complotiste est aux antipodes de la post-vérité que l’on associe souvent à notre époque. Il pense plutôt être le seul à disposer du réel dans un océan de mensonges.
La théorie du complot est aussi contre-productive dès lors qu’elle se présente comme le nec plus ultra de la critique. Du fait qu’elle est morale (par principe, le pouvoir ment), elle condamne au silence ceux qui se contentent de douter de certains discours officiels. Concernant les politiques menées pour faire face à la pandémie, ce genre de théorie n’admet pas que l’incompétence, la précipitation ou les habitudes technocratiques jouent le moindre rôle. Il lui faut une intention précise et parfaitement mise en œuvre, ce qui amène presque toujours les complotistes à exagérer les forces de leurs adversaires. Or, la critique sérieuse commence par le doute, c’est-à-dire par la croyance raisonnable qu’il aurait été possible de faire autrement. Avant toute théorie, cette critique réclame de la distance et du temps. Par ses outrances caricaturales, Hold-up donne des arguments à ceux qui renvoient à la paranoïa la moindre remise en cause des politiques menées. Ce documentaire milite malgré lui pour que l’emploi de «complotiste» rejoigne celui de «populisme» : une catégorie floue souvent destinée à clore la discussion.
Cette chronique est assurée en alternance par Michaël Fœssel, Sandra Laugier, Frédéric Worms et Hélène L’Heuillet.